Un gourou au cœur de la lutte anti-secte (4/6) : la justice comme alibi
Fort de ses relaxes, le témoignage de Perra semble authentifié par la justice. Or elle l’a seulement inscrit et légitimé dans un débat d’intérêt général, dans lequel seul son point de vue est entendu.
Au printemps dernier sur Twitter, je tente d’obtenir une interview de l’un des fidèles de Grégoire Perra, le responsable d’une chaine Youtube, Shadow Ombre. Je lui indique que le témoignage de celui auquel il apporte un soutien total me parait questionnable sur bien des points, quand quelqu’un intervient. « Le Grégoire Perra dont le témoignage vous semble « questionnable », c'est bien celui qui a gagné TOUS les procès que l'Anthroposophie a intenté contre lui ? », me fait-on remarquer, en suggérant que ce seraient donc « plutôt les prétentions de l'Anthroposophie qui sont sujettes à caution ». Il n’y aurait ainsi pas à questionner l’ancien prof de l’école de Chatou, malgré tout ce qu’il a pu faire, dire et écrire, car il a gagné en justice à maintes reprises.
Une telle opinion s’avère assez répandue, et Perra ne manque pas d’abonder dans ce sens, en rappelant ses victoires judiciaires et en entretenant, avec ses partisans, le récit selon lequel il aurait remporté six procès intentés contre lui par « l’Anthroposophie », même si l’on ne compte que trois jugements. Sur le plateau de Public Sénat, dans l’émission entamée par le reportage réalisé à Verrières-le-Buisson évoqué précédemment, Thomas Hugues apporte d’ailleurs sa contribution en déclarant que « six plaintes pour diffamation » ont été « toutes perdues par les écoles » Steiner. L’une des invités, la podcasteuse Elisabeth Feytit, co-autrice du livre d’entretien de Grégoire Perra tiré de sa série de podcasts, acquiesce, sans relever que la Fédération des écoles a seulement déposé deux plaintes, en 2011 et 2018. Avec d’emblée un verdict révélateur, ne jugeant nullement que Perra dit la vérité sur l’anthroposophie et sur les écoles Steiner.
Une bonne foi laxiste excuse la diffamation
Le premier jugement a été prononcé en 2013 par la 17ème chambre correctionnelle du Tribunal de Paris, la référence en matière de diffamation. Il porte sur le témoignage publié par l’UNADFI, qui soutient que les écoles Steiner endoctrinent les élèves à l’anthroposophie. Un grief auquel s’ajoutent l’entretien d’une logique sectaire associée à une défiance vis-à-vis des autorités, une incapacité de gestion administrative, un manque d’enseignement ainsi qu’un encouragement à une proximité malsaine entre élèves et enseignants. S’estimant diffamée sur tous ces points, la Fédération des écoles Steiner a poursuivi Grégoire Perra, la présidente de l’UNADFI, Catherine Picard, et sa vice-présidente, Marie Drilhon, qui a accompagné la rédaction du témoignage.
Selon le tribunal, le texte « porte atteinte à l’honneur et à la considération » du requérant en lui imputant qu’il encourage l’endoctrinement des élèves, et le propos est diffamatoire en alléguant que la fédération a manqué à sa mission d’enseignement. Il l’est également en lui imputant la diffusion d’une méthode pédagogique favorisant une promiscuité douteuse entre élèves et professeurs « mais aussi de ne pas réagir lorsqu’elle a connaissance de comportement légalement répréhensible » et d’aller jusqu’à « la non-dénonciation de crimes et délits (voire de leur complicité) ». Autant d’accusations face auxquelles le tribunal prend acte « qu’aucune offre de preuve n’a été formulée ». Marie Drilhon a beau prétendre avoir fait attention à ce que rien ne soit dit qui ne puisse être prouvé, pas une preuve n’a été apportée au Tribunal pour justifier ces accusations.
La diffamation est ainsi avérée, mais Grégoire Perra l’a emporté, en étant relaxé au bénéfice de la bonne foi. Et d’une évolution de la jurisprudence « de plus en plus laxiste », prévient maître Emmanuel Pierrat, avocat spécialiste du droit de la presse et de la diffamation. « La loi était auparavant bien cadrée, permettant de ne pas être condamné en apportant la preuve de ce qu’on avance, ou en démontrant sa bonne foi en cas d’erreur, explique le juriste. La bonne foi servait à l’origine aux journalistes qui s’étaient trompés mais avaient mené une enquête sérieuse et contradictoire. Or ce concept a été étendu à quasi tout le monde, et s’y est ajouté celui de l’intérêt général, qui légitime les combats pour de grandes causes. Par exemple “Me too”, la pollution, ou la lutte contre les dérives sectaires. Avec l’intérêt général, les gens lancés dans ce genre de croisade sont presque automatiquement considérés comme de bonne foi. Grégoire Perra en a pleinement bénéficié. »
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Aucun des critères requis pour la bonne foi n’était pourtant réuni. Il n’y a pas d’enquête sérieuse, pas de contradictoire, et l’intention de nuire est évidente »
Maître Emmanuel Pierrat
Le tribunal argue en effet que le témoignage de Perra trouve « parfaitement sa place » dans « un débat qui est d’intérêt général » concernant l’éducation. « Aucun des critères requis pour la bonne foi n’était pourtant réuni, relève Me Pierrat. Il n’y a pas d’enquête sérieuse, pas de contradictoire, et l’intention de nuire est évidente. Mais l’argumentation solide bâtie par la jurisprudence ayant été balayée depuis les années 2000, des cas manifestes de diffamation ne sont plus condamnés. » En l’espèce, l’absence d’enquête est compensée par la légitimité du témoignage de Perra, que justifie son vécu dans la société anthroposophique où il a pu formuler des critiques en interne. Malgré de lourdes accusations sans preuve, le tribunal lui accorde aussi « prudence » et « mesure », car il a reconnu dans son texte le « plaisir » de nombreux élèves à être scolarisés dans les écoles Steiner, mais aussi que l’endoctrinement n’y est pas massif, peu nombreux étant ceux qui rejoignent, comme lui en son temps, la société anthroposophique. Et si Grégoire Perra voue aujourd’hui depuis des années aux gémonies ces écoles, en appelant à leur interdiction, le tribunal l’estime alors dépourvu d’ « animosité ». Certes, il a dû démissionner de Chatou, à la demande de la direction, à la suite de la plainte d’une élève pour attouchements, mais une acrimonie à l’égard de l’école n’a pas été démontrée. Et son engagement postérieur avec le milieu anthroposophique montrerait plutôt que son témoignage n’est pas le fruit d’une « haine féroce » mais d’une réflexion philosophique sur l’anthroposophie et sa propagation.
Fort de son parcours, Grégoire Perra avait donc le droit d’en donner sa vision, bien qu’elle soit diffamatoire. L’UNADFI était quant à elle dans son rôle de lutte contre les mouvements sectaires, en apportant à la connaissance du public ce témoignage « permettant d’alimenter un débat démocratique (...) ouvert à la critique », et il n’y « avait pas à en vérifier la véracité », précise le jugement.
Aucun critère de dangerosité démontré
Si Perra a bien été relaxé, sa victoire de 2013 n’authentifie donc pas ses propos. « Mais cette décision de la 17ème chambre donne le ton », retient Me Pierrat, après avoir étudié l’ensemble des jugements concernant l’ex-anthroposophe. Un homme crédibilisé par la caution d’organismes comme l’UNADFI et la Miviludes, ainsi que par son analyse détaillée de l’anthroposophie reposant sur son expérience, fût-elle erronée ou mensongère. Notons tout de même que son point de vue n’est conforté par aucune décision de justice qui serait venue condamner l’un des multiples crimes ou délits dont auraient été, selon Perra, responsables ou complices l’anthroposophie et les écoles Steiner en France. Rappelons aussi que de nombreuses inspections menées par l’Education nationale dans ces écoles n’y ont pas constaté d’endoctrinement sectaire. Mais en traitant d’un sujet jugé d’intérêt général, Perra bénéficie de la mansuétude de la justice dans sa dénonciation de l’ensemble des facettes de la mouvance anthroposophique, à considérer toutes comme sectaires, d’après les articles qu’il publie en nombre sur son blog dans ces années 2010.
Le 20 avril 2018, le Tribunal administratif de Paris donne néanmoins gain de cause à une requête déposée contre la Miviludes par un groupement d’associations de médecins pratiquant la médecine anthroposophique, le Conseil national professionnel des médecines à expertise particulière – Section médecine anthroposophique (CNP MEP SMA). Il reproche à la mission interministérielle d’avoir inscrit cette médecine dans un guide « Santé et dérives sectaires » publié en 2012. Or le Tribunal administratif juge qu’« il n’est nullement démontré que la médecine anthroposophique remplirait ne fût-ce que l’un des dix critères de dangerosité » susceptibles de caractériser une dérive sectaire et présentés dans le guide, tels que la déstabilisation mentale, le caractère exorbitant des exigences financières, l’embrigadement des enfants ou l’importance des démêlés judiciaires. Ce classement n’était donc pas justifié, et le tribunal enjoint le Premier ministre à publier un rectificatif et un communiqué informant que la médecine anthroposophique ne doit plus figurer dans le guide « Santé et dérives sectaires » de la Miviludes.
Les médecins anthroposophes sont présentés comme des menteurs et des dissimulateurs de la réalité de leur pratique, à l’instar des pédagogues des écoles Steiner
Contredisant cette décision du Tribunal administratif, mais toujours fort de son expérience, Grégoire Perra livre en octobre 2018 dans une conférence, publiée sur son blog, sa vision très personnelle d’une médecine anthroposophique qui dissimulerait sa « haine de la science moderne ». L’objet de la deuxième plainte de la Fédération des écoles Steiner, et d’une première poursuite lancée par les médecins du CNP MEP SMA à l’encontre de Perra.
La conférence présente les médecins anthroposophes comme des menteurs et des dissimulateurs de la réalité de leur pratique, à l’instar des pédagogues des écoles Steiner avec leur enseignement. Perra décrit une médecine contraire à celle des Lumières mais conforme aux croyances anthroposophiques, ce qui se traduirait par des soins inappropriés, mais aussi par des infractions telles que la violation du secret médical dans les écoles ou l’absence de réaction et de signalement de cas de viols sur enfants. « Nous ne voulions pas laisser passer cela car il allait trop loin, se remémore Lucie Iskandar, déléguée général de la Fédération des écoles Steiner. Et comme nous étions au courant de la victoire obtenue par les médecins au Tribunal administratif, nous avons décidé de prendre leur avocat pour porter plainte contre cette conférence publiée par Grégoire Perra sur son blog. »
Le 26 décembre 2018, l’avocat strasbourgeois lance ainsi deux procédures contre ce texte, une des écoles au pénal, une des médecins au civil. Et en mars 2019, Virginie Macé, une professeur de l’école de Verrières-Le-Buisson, porte également plainte contre Perra, assistée par ce même avocat, pour un article où les voyages de classe sont présentés comme un moment propice à l’endoctrinement des élèves. En prenant comme exemple un voyage organisé par Virginie Macé en présence du secrétaire général de la Société anthroposophique française, alors que les parents n’avaient pas été informés qu’il occupait cette fonction. La plainte de Virginie Macé sera jointe par le tribunal à celle de la fédération des écoles, et deux procès vont ainsi avoir lieu à Strasbourg.
Deux relaxes prévisibles
Tenu devant un tribunal correctionnel qui n’a pas pour habitude de traiter d’affaires de diffamation, le premier de ces procès strasbourgeois, intenté par la Fédération des écoles Steiner et Virginie Macé, a lieu en juillet 2019. L’avocat de Grégoire Perra y rappelle la décision de la 17ème chambre, qui place le témoignage de son client dans le cadre d’un débat d’intérêt général, et il obtient gain de cause, sans même que le tribunal n’ait à recourir à la notion de bonne foi. Avec la fédération des écoles, il juge en effet que la diffamation n’est « pas suffisamment caractérisée », les passages du texte litigieux n’étant pas assez précis. Ces derniers soutiennent pourtant que l’on a enseigné l’anthroposophie dans les écoles Steiner, que le secret médical y a été violé et des agressions sexuelles sur enfants non dénoncées. Une fois de plus, Perra ne prouve rien, ne permet pas d’établir que ce qu’il prétend ou suggère est avéré, mais il exprime « une vision personnelle de sa réflexion alimentée par le fruit d’une longue expérience ». Et s’il était « parfaitement acceptable » pour la fédération de saisir le juge pour ces propos qu’elle a estimé diffamants, le tribunal estime aussi qu’ils relèvent de la liberté d’expression de Grégoire Perra.
Il en est de même vis-à-vis de Virginie Macé, qui s’estimait diffamée après avoir été accusée de contribuer à l’endoctrinement de ses élèves en organisant un voyage scolaire avec comme invité le président de la société anthroposophique, seulement présenté aux parents en tant qu’agriculteur formateur en biodynamie venu parler d’astronomie et de minéralogie, le thème du voyage. Or le tribunal considère que le caractère diffamant ne concerne pas l’identité d’anthroposophe de l’invité, établie, mais le fait de savoir si cette identité n’avait pas été signalée « dans un but d’entrisme doctrinaire ». Ce qui n’est pas prouvable, et renvoie donc à un simple jugement de valeur, relevant lui aussi de la liberté d’expression.
L’erreur de débutant de l’avocat des anthroposophes ne cadre pas avec le narratif de Perra dépeignant une secte toute-puissante
Dans le contexte d’une jurisprudence devenue tolérante en termes de diffamation, ces deux relaxes étaient prévisibles. Car le texte attaqué par Virginie Macé ne faisait que développer le discours de base de Perra sur l’endoctrinement à l’anthroposophie dans les écoles Steiner, avec un exemple particulier incluant un véritable président de la société anthroposophique par ailleurs agriculteur biodynamique. Quant à la conférence qu’attaquait la Fédération des écoles, elle concernait essentiellement la médecine anthroposophique, et les points critiques portant sur les écoles manquaient de précision sur les personnes mises en cause ou relevaient de la libre opinion de l’auteur. Ces deux procès en un étaient ainsi quasi ingagnables, et attaquer Perra sur la base de ces textes relevait sans doute de la maladresse juridique.
« Les plaignantes ont peut-être été mal défendues », estime d’ailleurs Me Pierrat. Elles auraient aussi pu être conseillées différemment après le verdict, puisqu’alors que le jugement montrait clairement qu’il n’y avait guère à attendre d’un deuxième procès, Virginie Macé et la Fédération des écoles Steiner ont fait appel. Avant d’être contraintes de se dessaisir, à la suite d’une erreur de procédure commise par leur avocat, qui a oublié de faire citer Grégoire Perra devant la cour d’appel dans les délais impartis. L’appel n’a donc pas eu lieu, mais Perra et ses fidèles comptabilisent ces tentatives avortées comme deux nouveaux procès gagnés contre l’anthroposophie, portant leur total à cinq. Sans donner la raison de l’absence d’une deuxième instance, l’erreur de débutant du conseil cadrant probablement mal dans le narratif dépeignant une anthroposophie toute-puissante capable de se payer l’avocat de chefs d’État ou de multinationales face au petit lanceur d’alerte.
Une condamnation extrêmement sévère
La double victoire de Grégoire Perra, obtenue en octobre 2019, survient après qu’il ait commencé à prendre une nouvelle dimension, médiatique. Comme on le verra dans la prochaine partie de cette enquête, Le Monde Diplomatique a inauguré en 2018 une longue liste d’articles de presse relayant le discours du repenti. Notamment qu’il serait harcelé judiciairement par l’anthroposophie avec une multiplication de procès-bâillons visant à le museler en lui réclamant des dizaines de milliers d’euros. En témoigne, en juillet 2021, le compte rendu que Charlie Hebdo donne du procès intenté à Grégoire Perra par le CNP MEP SMA, intitulé : « Les médecins anthroposophes, experts en acharnement judiciaire ».
Ces médecins anthroposophes en sont pourtant à leur première poursuite contre Grégoire Perra, devant un tribunal civil, pour un texte qui les concerne au premier chef, à la différence des écoles. Ils se considèrent victime de diffamation et d’injure. Mais après avoir rappelé qu’« il ne peut être sérieusement contesté que les propos de M. Grégoire Perra s'inscrivent dans un débat d'intérêt général », le tribunal de Strasbourg va écarter un à un chacun des passages du texte soulevés par les plaignants. Ainsi, selon cette juridiction, présenter les médecins anthroposophes comme « insincères » et « menteurs » ne relève pas de l’injure mais de la « formule de style ». Dire qu’ils font passer la survie des institutions anthroposophiques avant la santé et l’intégrité physique de leurs patients ne saurait non plus être considéré comme injurieux, et aurait plutôt dû être évoqué sur le terrain de la diffamation. En revanche, affirmer que des médecins anthroposophes multiplieraient les mauvaises pratiques dangereuses pour leur patients n’est pas diffamatoire, car ces pratiques seraient critiquables en soi et pas forcément propres à ces médecins, bien que la conférence leur soit très explicitement consacrée. Prétendre avoir vu des médecins anthroposophes ne pas signaler ce qui relèverait d’un viol sur enfant, falsifier a posteriori une ordonnance dans une affaire judiciaire pour se disculper ou briser le secret médical en vue de faire pression sur des parents d’élèves qui se mettraient à critiquer une école Steiner n’est pas non plus diffamatoire. Rien n’est prouvé, mais dire et publier tout cela relève du « droit le plus strict de manifester son opinion » d’un « fervent opposant à l’anthroposophie » qui « s’inscrit assurément dans un débat sociétal », juge le tribunal de Strasbourg.
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Le rapport de force a l’air très défavorable avec en face un énorme monstre, mais en fait, c’est Perra qui est devenu une machine de guerre »
Maître Emmanuel Pierrat
En outre, la juridiction note que « depuis plusieurs années les tenants de l’anthroposophie poursuivent M. Grégoire Perra en justice » en réclamant sa condamnation à des montants importants, et « ne peut s’empêcher de penser » qu’il s’agit d’un moyen de le faire taire et « de s’économiser un débat public ». Elle ajoute que la lutte est inégale entre un « mouvement transnational disposant de moyens humains et financiers importants » et un « individu seul – pouvant être fragilisé économiquement et psychologiquement - par les incessantes demandes de condamnations ». Alors bien que « les poursuites initiées ne sont pas en soi abusives », elle considère que les montants réclamés, 37 000 €, le sont, et de nature à générer un préjudice. Le CNP MEP SMA est donc condamné à verser 25 000 € à Grégoire Perra, au titre d’indemnisation et de frais de justice.
« C’est une condamnation extrêmement sévère pour laquelle ces médecins auraient dû faire appel », commente Emmanuel Pierrat. Du côté du CNP MEP SMA, aujourd’hui dissous, son dernier président, Claude Boudot, se dit « très choqué par cette condamnation pour démarche juridique abusive alors que l’on demandait à être indemnisé du préjudice moral très important de ce texte, qui qualifiait notamment les médecins anthroposophes de fieffés menteurs. Mais le juge a retenu ce que prétendait la partie adverse, selon laquelle nous aurions disposé de gros moyens, alors qu’il suffit de regarder nos comptes pour voir que leur contenu se limitait aux cotisations de nos membres, sans aucun lien financier avec la Société anthroposophique. Ce que dit le jugement n’est pas du tout la réalité, mais nous n’avons pas fait appel car des avocats nous ont dit qu’il serait très difficile d’obtenir réparation pour une diffamation en raison de la liberté d’expression. Peut-être n’avons-nous pas su nous défendre comme il le fallait. » A la différence de Grégoire Perra « dans sa martyrologie de David contre Goliath, remarque Me Pierrat. Le rapport de force a l’air très défavorable avec en face un énorme monstre, mais en fait, c’est lui qui est devenu une machine de guerre, très bien défendue, l’emportant ainsi à tous les coups dans un contexte jurisprudentiel très favorable. »
Pas de dialogue à la Miviludes, ni de dérive sectaire avérée
A Strasbourg comme à la 17ème chambre correctionnelle de Paris, les tribunaux ont en tout cas à trois reprises considéré que le point de vue de Grégoire Perra s’inscrit dans un débat public d’intérêt général, que les anthroposophes ne devraient pas tenter de s’épargner en portant plainte. Or loin de stimuler ce débat, les décisions de justice, tout particulièrement la dernière, ont consacré le crédit accordé au discours de Perra, comme s’il avait été authentifié, ce qui n’est pas le cas. Ainsi, dans le rapport de la Miviludes publié en 2022 après le jugement du tribunal de Strasbourg, la condamnation des médecins anthroposophes pour « procédure abusive » justifie le caractère « extrêmement précieux » d’un témoignage « qui permet de formuler une critique constructive d’une doctrine médicale qui repose davantage sur des considérations ésotériques que sur des fondements scientifiques ». Ce que ne dit pas le jugement, considérant seulement que Perra invite à un débat que n’accueille en aucune façon la Miviludes, qui reprend uniquement une vision extrêmement à charge de la médecine anthroposophique et des écoles Steiner. Des « anthroposophes » stigmatisés, mais non entendus depuis des années, l’opinion de Perra étant la seule considérée.
« Nous n’avons jamais été consultés et il n’y a aucune volonté de dialogue à la Miviludes », constate Lucie Iskandar. Elle déplore aussi que sa fédération n’ait pas obtenu de réponse à la demande adressée à la mission interministérielle de lui communiquer la nature des signalements qu’elle assure recevoir sur les écoles Steiner. La CADA, Commission d’accès aux documents administratifs, a pourtant émis un avis favorable à cette requête, mais la Miviludes ne l’a pas suivi et se refuse toujours à communiquer quoi que soit. J’ai également constaté de mon côté l’impossibilité d’interroger quiconque à la Miviludes sur la nature précise de ces signalements que Grégoire Perra invite régulièrement à déposer, comme sur la place prépondérante accordée au témoignage de ce dernier. J’ai sollicité les anciens présidents, et les responsables actuels, en vain. En réponse à mes demandes et questions précises, je n’ai reçu qu’un message rempli de généralités, entamé par cette surprenante déclaration, hors de propos mais pouvant relever du déni : « La Miviludes n'est ni une police de la pensée, ni une police des cultes ».
Tout Educ, site d’information spécialisée dans l’éducation, a eu plus de chance : il a obtenu une réponse de la Miviludes. En mars 2023, la mission lui a annoncé ne pas disposer « d’éléments permettant de caractériser une dérive sectaire avérée au sein des écoles Steiner-Waldorf », ajoutant avoir seulement recueilli des témoignages pointant « des risques », sans en détailler un seul. Curieux, tout de même, d’apprendre qu’aucune dérive sectaire n’a pu être caractérisée dans des écoles que la Miviludes met lourdement en accusation dans ses rapports, en s’appuyant principalement sur la parole de Grégoire Perra, lequel qualifie à longueur d’année de dérive sectaire, voire de secte, ces établissements, comme toute la mouvance anthroposophique. Avec un soutien sans faille de la Miviludes, comme celui dont il a bénéficié de la part de la secrétaire d’État Sonia Backès, dont il n’a pas manqué, en retour, de louer les mérites.
Menace du conseiller de Sonia Backès
Sonia Backès est la première membre d’un gouvernement à avoir approuvé publiquement le discours du “lanceur d’alerte” sur la menace que constituerait l’anthroposophie et les écoles Steiner. Quand elle a dû quitter son ministère après sa défaite aux élections sénatoriales de septembre 2023, Perra l’a faite entrer « dans la légende » pour son « magnifique travail » en faveur des « victimes des sectes ». Il a attribué son échec électoral aux anthroposophes qui auraient voulu et obtenu « sa peau » en mobilisant leur réseaux, comme s’ils contrôlaient les élus de Nouvelle-Calédonie.
J’ai cherché à interroger Mme Backès qui n’a pas répondu à mes demandes d’interview, ni via Twitter ni via la collectivité territoriale qu’elle préside à Nouméa. Mais j’ai pu échanger brièvement avec son conseiller, Bastien Vandendyck, que Grégoire Perra a l’air de connaître puisqu’il l’a mentionné à plusieurs reprises sur Twitter. Par exemple lors des assises sur les dérives sectaires où il avait dénoncé « l’infiltration » des anthroposophes au ministère de l’Intérieur, en taguant Sonia Backès, le préfet Gravel et Bastien Vandendyck, histoire de les inciter à réagir.
« Nous ne nous occupons plus de ces sujets désormais. Merci de ne plus me contacter sur des vecteurs de communication personnels », a répondu Bastien Vandendyck à ma demande d’interview de Sonia Backès sur le rôle et l’influence de Grégoire Perra dans la dénonciation publique de l’anthroposophie. Je l’avais contacté via Messenger, la messagerie de Facebook. J’ai ré-itéré ma demande, précisant que je m’intéressais à l’action réalisée par Sonia Backès lors de ses fonctions de secrétaire d’État, plus particulièrement à l’occasion des assises sur les dérives sectaires et lors de l’émission de Public Sénat réalisée peu après, dans laquelle Grégoire Perra apparaissait comme un symbole de la lutte anti-secte. « Au prochain message sur ce vecteur privé, je vous dénonce au Syndicat national des journalistes et porte plainte », a alors menacé, de façon assez stupéfiante, le conseiller. Je lui ai immédiatement répondu en m’étonnant de sa réaction pour ce qui était une demande d’interview en bonne et due forme de la femme politique avec qui il travaillait, en rapport avec ses activités gouvernementales. Il n’a évidemment pas porté plainte, mais sa menace symbolise l’impossibilité d’interroger des responsables politiques ou associatifs sur ce lanceur d’alerte qu’ils ont pourtant mis à l’honneur. Et qui le leur rend bien, comme quand Perra a salué, en mars dernier, Sonia Backès et Bastien Vandendyck pour le vote de la loi contre les dérives sectaires. L’ex-secrétaire d’État a alors remercié à son tour ce « cher Grégoire Perra » pour son « courage » et son « engagement de tous les instants ». Et d’ajouter : « Continuons notre mobilisation auprès des élus et des médias, mais surtout auprès des victimes. »
N’hésitant à s’ériger en porte-parole d’une « nation reconnaissante », Perra renouvellera ses remerciements en mai, après la parution de la loi au Journal officiel, Bastien Vandendyck manifestant alors à son tour sa reconnaissance. Tout comme, deux mois plus tôt, la député et rapporteuse de la loi, Brigitte Liso. Egalement louée par Perra, elle l’a remercié pour son « soutien sans faille ». Une élue que l’anthroposophe repenti dit capable de « beaucoup d’empathie », après l’avoir rencontré. Elle n’a, pour autant, pas non plus répondu à mes demandes d’interview au sujet de l’auto-proclamé lanceur d’alerte.
Le débat façon Perra
Depuis plus de vingt ans que je suis journaliste, jamais je n’avais traité un sujet dans lequel le protagoniste et quasiment tous ceux qui l’ont soutenu, même les responsables publics, refusent de s’exprimer. Cela concerne aussi tout l’entourage de Grégoire Perra, qui apparaît sur Twitter comme une tribu soudée. Avec des fidèles qui reprennent, propagent et défendent le discours du pourfendeur numéro un de l’anthroposophie, comme on diffuserait les propos d’un gourou. Des comptes qui peuvent être anonymes, tels Le petit Posof, Kartapuss ou Cadrer Decadrer, tous dédiés à la dénonciation de l’anthroposophie façon Grégoire Perra. Citons aussi Kalou, un homme au visage masqué qui dit être en collaboration étroite avec la Miviludes et publie articles et interviews sur sa chaîne YouTube ou sur son site domicilié en Suisse, Sceptiks in the Pub, où Grégoire Perra semble comme chez lui pour diffuser sa bonne parole. Autre responsable anonyme d’une chaîne Youtube, Shadow Ombre, moins actif sur Twitter, a en revanche multiplié les vidéos à charge contre l’anthroposophie et en a intitulé une « Gloire à Grégoire Perra », tout simplement. Dans ce qui ressemble à un premier cercle de soutiens inconditionnels, certains apparaissent à visage découvert, comme Stephanie de Vanssay, qui a lancé l’alerte anti-anthroposophe aux assises sur les dérives sectaires, ou Cyril Gambari, prof de biologie en lycée agricole particulièrement actif dans la dénonciation de la biodynamie. Mais aucun n’a accepté que je l’interroge sur Grégoire Perra, les deux derniers m’ayant bloqué avant même que je cherche à les contacter, suivant apparemment la consigne du gourou.
Si la justice considère que Perra participe à un débat public d’intérêt général, dans la vie courante, le repenti et ses fidèles donnent plutôt dans la censure, le blocage, mais aussi la stigmatisation sur le réseau social qui constitue leur terrain d’expression privilégié. Se disant harcelé, Perra multiplie, avec ses acolytes, les dénonciations publiques de personnes présentées comme anthroposophes ou liées à cette mouvance. Par exemple en signalant à des employeurs qu’un de leurs salariés a fait « la promotion d’une dérive sectaire » parce qu’il a témoigné favorablement sur sa scolarité en école Steiner. Tout contact avec un anthroposophe ou une personne ou institution considérée comme telle fait de vous l’un de leurs, à dénoncer publiquement. C’est ce qu’ont subi, comme bien d’autres, le réalisateur Cyril Dion ou le philosophe Edgar Morin. Interpellé à de multiples reprises pour avoir participer à un colloque co-organisé par des anthroposophes, ce dernier a fini, en août 2023, par bloquer Perra, qui lança alors à ce centenaire : « Vous perdez une occasion – sans doute la dernière - de vous démarquer publiquement de ce mouvement sectaire. » Récemment, la clique de Perra s’en est beaucoup prise à des chercheurs de l’INRAE, coupables de vouloir mener des recherches sur l’agriculture biodynamique. L’un d’entre eux a particulièrement suscité l’ire du gourou, qui a réclamé à ses supérieurs de réagir, en estimant que « pour eux, c'est maintenant une question d'honneur ».
Il n’est pas question de participer à un débat public, mais de discréditer comme sectaire tout ce qui serait plus ou moins anthroposophe. Le dialogue serait en fait à bannir, comme l’a très clairement exprimé en août dernier Grégoire Perra à la ministre de l’Education et à tous les élus et hauts-fonctionnaires de France, les appelant à être à la hauteur de leur fonction et de leur responsabilités, en suivant sa consigne : « N'acceptez pas de "dialogues" avec des gens qui n'ont que mensonges et tromperies plein la bouche, le cœur et les entrailles ! Fermez la porte aux écoles Steiner-Waldorf et à l'anthroposophie. » Un bon aperçu de la démarche de celui que la justice a pourtant considéré comme une sorte d’incarnation de la confrontation d’idées d’intérêt général. Un homme qu’elle a transformé en « créature légendaire » pour ses fidèles. Celui qui l’emporte à chaque fois face aux anthroposophes, en leur infligeant des blessures dès qu’il entre sur le champ de bataille, comme le mentionne la carte de jeu de rôle créée à son effigie.
Goldorak en action
Pour ses fidèles, Perra, c’est aussi devenu Goldorak, l’invincible, tel que l’encense une chanson le décrivant également comme « le beau gosse », « le champion », « le roi du rock » et « le sauveur qui va triompher ». « Une hymne prophétique », selon cette véritable idole qui a posté lui-même cette apologie reggae sur Twitter, à quelques semaines du procès qui allait l’opposer à Nicolas Tavernier, fils de l’ex-présidente de l’UNADFI, et président de l’ANPAPS, l’association des parents, anciens élèves et soutiens à la pédagogie Steiner-Waldorf. Ancien élève lui-même, il a rejoint cette association après avoir lu une interview de Grégoire Perra brossant un portrait de ces écoles bien éloigné de ce qu’il avait personnellement vécu. Il s’est alors attaché à recueillir plus de cent témoignages d’anciens élèves ou de parents qui présentent une réalité toute autre.
En février 2023, Nicolas Tavernier s’est fendu d’un petit article s’insurgeant contre la vision des écoles Steiner délivrée par Perra, en le qualifiant de « fieffé menteur » et d’« agresseur sexuel ». Publié sur le site de l’ANPAPS, ce texte lui a valu une plainte de l’intéressé pour injure et diffamation, et un procès devant le tribunal correctionnel d’Evreux, le 13 juin dernier.
Le jour de l’audience, Perra annonce qu’un défenseur des écoles Steiner va devoir « répondre devant la justice », et que l’anthroposophie « doit être mise hors d'état de nuire en France ». Goldorak entre en action, et « encore une fois, les anthroposophes vont trembler devant la justice », tweete Cyril Gambari, évoquant un « événement majeur » dans lequel la créature légendaire « va porter le coup d'estoc ».
Perra a la chance de ne pas être questionné sur les contradictions flagrantes de ses différentes versions
Appelé à déposer à la barre comme témoin, Franck Gardian, ancien professeur de l’école de Chatou, relate comment Grégoire Perra a été sommé de démissionner après avoir été accusé d’attouchement par Mathilde Quétineau, une élève de première. Cécile Acremant, son ancienne compagne et élève, témoigne également. Elle déclare qu’il avait, à l’époque, reconnu sa faute, comme en atteste sa lettre d’aveux, publiée en 2019 par le journaliste suisse Martin Bernard, lui aussi témoin. Mais tous ces témoignages vont être balayés par les dénégations de Grégoire Perra, qui soutient avoir rédigé cette lettre contraint par sa compagne Cécile. Il a pourtant lui-même écrit que la missive lui avait été dicté « presque mot pour mot » par la mère de Mathilde Quétineau, mais a encore la chance de ne pas être questionné sur les contradictions flagrantes de ses différentes versions de l’histoire, ni sur leur caractère invraisemblable.
Le tribunal a donc considéré « qu'il existe une véritable contestation sur les circonstances entourant les faits d'agression sexuelle et les “aveux” de la partie civile ». Et c’est « la vraisemblance des faits rapportés » par Nicolas Tavernier qui a été jugée insuffisante. Il ne lui a en outre pas été accordé le bénéfice de la bonne foi. Car si « l'agression sexuelle d'une écolière mineure (...) pourrait s'inscrire dans un débat d'intérêt général » dans un contexte de libération de la parole des victimes de violences sexuelles, l’accusation portée n’avait « pas pour but de dénoncer des faits d'agression sexuelle mais de décrédibiliser les propos que Monsieur Perra tient sur les écoles Steiner-Waldorf et l’anthroposophie ». Un Grégoire Perra dont « différentes juridictions » ont estimé que les réflexions avaient « leur place dans un débat d’intérêt général », comme le souligne en préambule le jugement. Il considère également que le texte de Nicolas Tavernier ne visait pas à mettre en doute la démarche de Perra mais à « discréditer sa personne même, et non ses idées ». L’accusé semble ainsi avoir été animé par un « animosité personnelle », tout en manquant de prudence. Et se retrouve condamné à verser à Grégoire Perra 3 000 euros en réparation de son préjudice moral, et 10 000 pour ses frais de justice.
Impossible exercice du contradictoire
« C’est une décision que je n’estime pas bonne mais je la comprends, car elle s’inscrit dans ce contexte qui profite au repenti, analyse Emmanuel Pierrat face ce jugement dont Nicolas Tavernier a fait appel. Perra sait parfaitement l’exploiter en arrivant fort de trois ou quatre jugements précédents de martyr, et part largement gagnant. » Avec un avocat, Me Marc François, qui a su tout aussi parfaitement jouer sur le caractère d’intérêt général de l’engagement de son client face à une anthroposophie dont tous les témoins venus à la barre ne seraient que des représentants. Un mouvement à la doctrine problématique, qui n’aurait rien d’autre à opposer à Grégoire Perra que cette accusation d’agression sexuelle. Accusation que les tribunaux n’ont eu de cesse d’écarter, en retenant à chaque fois que son client appuyait ses dire « sur des bases sérieuses ». Me François a en revanche fustigé la méthodologie journalistique de Martin Bernard, lui reprochant de n’avoir même pas appelé Grégoire Perra lors de son enquête pour lui permettre d’exercer le principe du contradictoire. L’avocat s’en est indigné dans sa plaidoirie, en y voyant « le degré zéro du journalisme », ce qui m’a fait sourire.
En effet, je me suis pour ma part employé à ce que Grégoire Perra puisse exercer le contradictoire, et n’ai eu en réponse que des accusations mensongères et diffamatoires sur Twitter. Je m’en suis d’ailleurs entretenu avec Marc François, qui m’a dit que son client ne me répondrait probablement pas, arguant qu’« il a désormais juste envie d’être tranquille ». Ce qui m’a, là, franchement fait rire, connaissant « l’engagement de tous les instants » de Grégoire Perra dans sa lutte contre l’anthroposophie, salué par Sonia Backès.
« Soutien total au courageux Grégoire Perra, harcelé jusque dans les wc du tribunal »
Thomas Huchon, journaliste spécialiste des fake news
Le jour de ce procès où j’ai eu pour la première fois l’occasion de rencontrer Perra, j’ai évidemment cherché à lui parler. Il était entouré de deux de ses principaux fidèles, Stéphanie de Vanssays et Kalou, l’homme masqué. A la pause, je suis d’abord allé voir ces derniers pour leur dire que je souhaiterais les interroger, mais ils ont refusé de m’adresser la parole. J’ai ensuite abordé Grégoire Perra en me présentant, puis en lui demandant si je pouvais lui parler. Il m’a dit : « Non. » J’ai ajouté que j’attendais toujours les réponses promises aux questions que je lui avais posées, tout en marchant à côté de lui sur une dizaine de mètres dans un couloir du tribunal, jusqu’à ce qu’il se retourne vers moi en me disant que je n’avais pas le droit de lui parler, tandis que Stéphanie de Vanssay s’était mise à filmer. Nous étions arrivés devant la porte des toilettes. Le lendemain matin, Perra a publié sur Twitter une vidéo en prétendant, entre autres contrevérités, que le « pseudo-journaliste Brice Perrier » était venu le « harceler jusqu’à l’entrée des toilettes du tribunal d’Evreux ».
Dans son monde parallèle, cela allait tout naturellement devenir un harcèlement « jusque dans les toilettes », et immédiatement le tweet du gourou fut partagé par un grand nombre de ses fidèles. Par exemple, Cyril Gambari, qui l’assortit d’un commentaire du meilleur goût : « les toilettes, meilleur endroit pour mener un interview d'après les raclures de bidet de l'anthroposophie. » Journaliste censément spécialiste des fake news, Thomas Huchon apporta quant à lui son « soutien total au courageux Grégoire Perra, harcelé jusque dans les wc du tribunal », s’offusquant « des méthodes odieuses d’un pseudo-journaliste ». A savoir s’attacher à respecter le contradictoire, un principe devenu inadmissible avec Grégoire Perra, quoi qu’en dise son avocat. Ce qui invite à se pencher sur la pratique du journalisme vis-à-vis de celui qui peut se permettre d’éviter toute question sur des faits, des écrits et des comportements discutables. Avec la justice comme alibi.