Un gourou au cœur de la lutte anti-sectes (1/6) : accusé d'attouchements
Symbole de la lutte contre les dérives sectaires, adoubé par les autorités et les médias, Grégoire Perra opère comme un gourou redouté. Enquête sur un prêcheur plus que douteux, et un passé graveleux.
Il est délicat d’enquêter sur Grégoire Perra. Depuis maintenant plus d’un an que je m’y emploie, j’ai déjà dû composer avec l’impossibilité d’interroger cette figure emblématique de la lutte contre les dérives sectaires en France. Un homme au comportement problématique. Soutenu et relayé par de nombreux fidèles, il n’hésite par exemple pas à calomnier sur Twitter un journaliste cherchant simplement à l’interroger, comme j’ai pu le constater personnellement à plusieurs reprises. Ce qui pourrait dissuader de s’intéresser à son cas de façon réellement journalistique, c’est-à-dire en allant au-delà de l’image d’Epinal que Grégoire Perra est devenu : un héros de la rationalité ayant révélé l’ampleur d’une menace obscurantiste insoupçonnée.
Si je suis passé outre les quelques désagréments inhérents au fait d’investiguer sur ce monsieur, c’est que publier cette enquête sur Raison sensible me paraît aujourd’hui important. D’abord parce qu’elle ne pourrait sans doute pas l’être ailleurs ; en effet, j’ai déjà vu avorter une première tentative pour un autre support, ai reçu une fin de non recevoir expéditive pour un second essai, et j’ai aussi échangé avec d’autres journalistes qui connaissent le phénomène Perra et la réalité accablante, et même sidérante, du personnage ; pour autant, il paraît inenvisageable de la révéler. Le risque serait trop grand d’apparaître comme le défenseur d’une secte. Tel n’est, bien entendu, pas mon objectif, ni mon propos.
Un phénomène de mésinformation massive
Mon enquête vise à mettre en lumière un phénomène de mésinformation massive. Il dépasse cet individu qui pourrait paraître à beaucoup sans importance ni intérêt, car il implique, dans les faits, tous ceux qui ont placé Grégoire Perra sur une sorte de piédestal, en tant que repenti providentiel d’un mouvement présumé sectaire. Cela inclut des autorités politiques, comme la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), la justice, dont des décisions méritent d’être questionnées, de nombreux médias avec un panel de sensibilités allant de la gauche radicale à la droite dite extrême en passant par le centre macroniste, mais aussi toute une sphère d’influence se voulant la voix de la science et de l’esprit critique. Celle-là même qui peut contribuer à entraver la recherche et donc la science par dogmatisme et préjugés, comme je l’ai montré dans L’obscurantisme au pouvoir. A travers le cas Grégoire Perra, cette sphère dite sceptique atteint des sommets dans l’exercice du fameux biais de confirmation, dont elle est la première à dénoncer les méfaits.
Voilà pourquoi cette enquête me parait tout à fait à sa place dans votre lettre Raison sensible. Elle relève d’un journalisme indépendant qui semble ne plus se pratiquer ailleurs, et touche à un dévoiement de la science et de la raison utilisées comme argument pour discréditer celui qui contredit un ordre établi. Parmi les multiples qualificatifs que m’a attribué publiquement un Grégoire Perra réfractaire à l’exercice opiniâtre de l’investigation journalistique, figure d’ailleurs celui d’ « ennemi de la science », évidemment « ami des dérives sectaires ». Serait-ce lié au fait que je connaisse ce qui pourrait bien être sa grosse casserole, si ce n’est son plus gros mensonge, et qu’il sache que je m’y suis intéressé de près ?
Un repenti de l’anthroposophie
Avant d’en venir à cette histoire de mœurs qu’il convient en toute logique de traiter dans cette première partie, présentons ce Grégoire Perra dont le témoignage est considéré comme « extrêmement précieux » par le dernier rapport de la Miviludes. Ce professeur de philosophie constitue la principale référence de la mission sur l’un de ses grands sujets d’inquiétude : l’anthroposophie. Un mouvement fondé voici un siècle par Rudolf Steiner, écrivain et penseur autrichien féru de sciences mais surtout d’occultisme. Avec l’anthroposophie, il a entrepris de développer une prétendue « science de l’esprit », à partir de laquelle il a conçu ou inspiré une pédagogie et des écoles (Steiner-Waldorf), un mode d’agriculture (la biodynamie), une médecine, un laboratoire pharmaceutique devenu un leader des cosmétiques naturels (Weleda) ainsi que des établissements bancaires se revendiquant d’une finance éthique, tels que la NEF. Autant de déclinaisons de ce que Grégoire Perra dénonce comme une secte très dangereuse, en tant qu’anthroposophe repenti, éduqué en école Steiner avant d’en devenir un enseignant.
Depuis treize ans, l’homme se pose en lanceur d’alerte. Il a été immédiatement traité comme un interlocuteur privilégié par la Miviludes et l’UNADFI (Union nationale des association de défense des victimes de sectes), et sa parole a ensuite été relayée et valorisée par nombre de journalistes, sans être questionnée sur sa fiabilité. Il apparaît comme « une source en or », qualificatif que lui a attribué, lors d’une nuit zététique, Jean-Loup Adenor, rédacteur en chef adjoint de Charlie Hebdo et co-auteur du livre Le nouveau péril sectaire.
D’après Perra, les écoles Steiner endoctrinent à l’anthroposophie d’une façon si subtile que les élèves et leurs parents ne s’en rendraient pas compte. Avant lui, personne ne s’était d’ailleurs manifesté en France comme une victime de la vingtaine de ces écoles que compte notre pays. Il affirme pourtant qu’au-delà d’un enseignement qui instillerait, sans l’assumer, une obscure doctrine ésotérique aussi malveillante que farfelue, des actes délictueux se dérouleraient de façon récurrente dans ces établissements. L’enseignement n’y relèverait d’ailleurs pas d’une quelconque pédagogie mais de pratiques qui seraient « l’endoctrinement et la maltraitance des enfants », comme Perra l’affirmait en avril dernier sur Twitter, sans utiliser pour sa part le conditionnel.
Accusé par une élève d’agression sexuelle
L’homme porte sur ces écoles, comme sur l’ensemble de la mouvance anthroposophique, un grand nombre d’accusations oscillant entre le grave et le loufoque. J’en donnerai un large aperçu dans la suite de mon enquête, mais retiens déjà que le repenti a particulièrement alerté sur la question des mœurs sexuelles. Il prétend qu’existerait dans les écoles Steiner une inquiétante promiscuité entre professeurs et élèves pouvant conduire à des comportements inappropriés. Des relations d’ordre sentimental qui seraient inhérentes au système d’endoctrinement et largement acceptées, « jusqu’au jour où d’importants dérapages poussent parfois les responsables à prendre quelques mesures provisoires », mentionne le rapport de la Miviludes, reprenant le témoignage de Grégoire Perra publié en 2011 par l’UNADFI. Il y dit en avoir été « témoin et victime », ajoutant que ces dérapages, relevant du détournement de mineur, seraient fréquents. Il ne donne toutefois pas d’exemple des mesures qui auraient été prises avec les fautifs. Et omet d’indiquer qu’il a lui-même dû quitter l’école où il enseignait, après avoir été accusé par une élève d’agression sexuelle.
Arrivée en classe de 1ère à l’école Steiner de Chatou, la jeune fille venait d’avoir 17 ans. En novembre 2006, elle rencontre pour la première fois Grégoire Perra, qui accompagne les élèves de plusieurs classes lors d’une sortie scolaire au Musée d’Orsay. « Nous avons assisté à une projection dans une salle où il s’est assis à côté de moi, témoigne Mathilde à Raison sensible. A peine a-t-elle débuté que j’ai senti sa main caresser ma cuisse. Tétanisée, j’ai d’abord été incapable de réagir avant de parvenir à effectuer un mouvement manifestant mon refus, mais il a continué ses caresses durant un temps qui m’a paru interminable. Finalement, je me suis retournée pour lui faire face, mais l’ai vu piquer du nez en semblant simuler de petits ronflements. Stupéfaite, je me suis demandé s’il était somnambule, puis la projection s’est terminée et il a fait mine de se réveiller, retirant enfin sa main avant de se lever et de partir sans me regarder. »
Sous le choc, Mathilde dit avoir d’abord gardé le silence sur cet incident : « Nouvelle dans ce lycée, j’avais peur de ne pas être crue, car ce prof de philo était très apprécié des élèves, qui louaient sa grande érudition. Mais quelques jours plus tard, je me suis tout de même confiée à une amie de ma classe, qui en a par la suite parlé à son père, un professeur de l’école. » Ce dernier en informera le professeur principal de Mathilde, à qui cette dernière va confirmer les faits d’attouchements, tout en lui demandant de ne pas ébruiter l’affaire.
Pas de licenciement, mais des aveux
« Mathilde ne voulait pas être responsable du départ de Perra de l’école, se rappelle ce professeur de français, Franck Gardian. Mais je me devais d’informer de cet acte grave le collège interne de l’école, organe de direction qui a pris à l’unanimité la décision de se séparer de Grégoire. » Convoqué, Perra se serait retrouvé contraint de démissionner. « Nous avons fait l’erreur de ne pas le licencier et d’éviter de porter plainte, regrette aujourd’hui Franck Gardian. On a agi ainsi en premier lieu pour respecter la volonté de la victime, mais aussi pour ne pas ruiner la carrière de notre collègue. »
Les parents de Mathilde ont néanmoins été informés par l’école de ce qu’aurait subi leur fille. « Nous étions abasourdis, et j’ai voulu que Perra m’appelle pour avoir son explication, me confie la mère. Tout penaud, il a avoué. Mais nous estimions nécessaire que Mathilde puisse avoir une réparation morale et j’ai donc exigé une lettre d’excuse, faute de quoi nous aurions porté plainte. Je lui ai aussi interdit de s’approcher dorénavant de ma fille, et conseillé de se faire soigner car il paraissait avoir un problème. »
Dans une lettre rédigée après cet échange téléphonique, Grégoire Perra reconnaît pleinement « le caractère ambigu et d’agression » de ses gestes, et déclare être « malade » d’une « profonde névrose ou quelque chose comme cela », ce qui l’aurait déjà conduit à des événements similaires. Il dit avoir entamé un travail de psychanalyse pour soigner ce mal, qu’il explique par une sorte de contamination due à la compassion qu’il aurait ressentie pour une ex-compagne « victime d’agressions pédophiles durant toute son enfance et son adolescence ». Datée de mars 2007, cette lettre est suivie, deux ans plus tard, d’un nouveau message envoyé à Mathilde, via la messagerie de Facebook, où il renouvelle ses excuses en lui signifiant « le besoin de te demander pardon, vraiment librement cette fois », personne ne le lui ayant alors demandé.
Toute la vérité, selon Perra
Dans son témoignage publié par l’UNADFI en 2011, Grégoire Perra ne dit rien de cet épisode, tout comme dans la version originale d’un interminable article, Ma vie chez les anthroposophes, publié en 2012 sur son blog. Il y présente son départ de Chatou comme la conséquence de critiques qu’il aurait formulées sur le fonctionnement de l’école. Mais après que cette histoire d’attouchements eut été évoquée en 2013, lors d’un procès pour diffamation intenté contre lui par la Fédération des écoles Steiner, Perra a ajouté à son texte sa propre version. Il s’y attache à discréditer la personnalité de Mathilde. D’une façon plus que douteuse.
Il commence par assurer qu’il n’aurait pas souhaité entrer en contact avec cette élève car, d’une nature affabulatrice, elle aurait proféré des accusations d’attouchement à l’encontre du professeur de philosophie qui a pris sa suite après son départ de l'école. Mathilde dément avoir tenu ces propos, dont seul Perra semble avoir eu écho, mais ce dernier soutient donc que ces accusations, prétendument tenues en septembre 2007, l’auraient dissuadé d’entrer en contact avec cette élève, alors que le contact inapproprié qui lui est reproché avec elle date de novembre 2006. Une étrangeté chronologique qu’il assortit d’assertions sur Mathilde, présentée comme quelqu’un versant dans l’irrationnel et qui se serait dit medium. Il écrit que son père était « chevalier de l’Ordre de la Rose-Croix, ou quelque chose comme cela, pratiquait le pendule et voulait absolument que sa fille soit initiée spirituellement par ses soins ». Dans l’à propos de son blog, où il s’attache encore à discréditer Mathilde, Perra se fait plus précis, en soutenant, en novembre 2022, que son père est en fait « un très haut dirigeant de la Rose-Croix d’Or, mouvement proche de l’anthroposophie et de sa doctrine ».
« C’est n’importe quoi !, rétorque Mathilde. Mon père, décédé il y a bientôt trois ans, est devenu lourdement handicapé alors que j’avais 3 ans. Il fallait l’habiller, le nourrir, et il avait beaucoup de mal à parler, donc communiquait très peu. Il m’a effectivement montré comment marchait un pendule que je n’ai jamais utilisé, mais il ne risquait pas de m’initier à quoi que ce soit, ni d’être un dirigeant de cet ordre dont je n’ai jamais entendu parler. Je sais juste qu’il avait obtenu pour service rendu un titre honorifique d’une sorte d’ordre lié à la Couronne d’Italie, qui lui avait valu un beau service de table de Venise. »
Se faisant graveleux, Perra décrit dans sa version ajoutée en 2014 le comportement d’une fille de 17 ans « aux mœurs particulièrement légères malgré son jeune âge ». Il la dit « ouverte aux propositions sexuelles du premier venu », et bisexuelle pratiquant « depuis des années le triolisme » avec des couples mariés. Dans un paragraphe titré « Toute la vérité », il affirme enfin que Mathilde, amoureuse de lui et habillée de façon aguichante pour le séduire, se serait en réalité précipitée sur lui au Musée d’Orsay en plaquant sa cuisse dénudée contre sa main. Il aurait alors eu pour seul tort de ne pas la retirer immédiatement, en raison d’une grande fatigue.
Scandalisée par les écrits de Perra, Mathilde souligne que « j’aurais bien pu lire dans le marc de café ou m’être dite medium comme il le prétend, rien ne justifiait son agression, quand bien même j’aurais été une traînée ! Et c’était loin d’être le cas, même si j’avais eu une aventure croisée avec un garçon et une fille l’année précédente. Je l’ai dit à Cécile, la compagne de Perra, qui lui en a parlé, et il en a probablement tiré son histoire grotesque de triolisme, tout comme il a sans doute imaginé ses élucubrations sur un ordre initiatique parce que j’ai dû parler à mon amie de notre belle vaisselle. Mais comment peut-on croire un type pareil ? »
Une compagne qui était son élève
Cécile Acremant se trouve être la sœur de l’amie de classe de Mathilde, à qui celle-ci s’est confiée après sa rencontre avec Grégoire Perra lors de la sortie au Musée d’Orsay. A maintes reprises, ce dernier mentionne cette compagne, dont les parents sont anthroposophes, notamment dans une série de podcasts dont a été tiré son livre d’entretien Une vie en anthroposophie. Il l’a conclue en révélant la chose la plus stupide qu’il aurait faite dans sa vie : « signer une lettre d’aveux d’actes que je n’avais pas commis ». A savoir la lettre écrite à la demande de la mère de Mathilde. Mais Perra évacue ici totalement cette dernière, ainsi que la menace d’un procès, pour prétendre que sa compagne anthroposophe aurait exigé de lui cet écrit compromettant, afin de prémunir le mouvement d’une future et hypothétique trahison. Occultant l’accusation d’attouchements qui l’a conduit à démissionner de l’école, il affirme donc avoir rédigé cette lettre - dont il tait le contenu - sous l’emprise de cette compagne. Il n’indique pas non plus qu’elle était son élève quand a débuté leur relation, durant l’hiver 2006.
A peu près au même moment, Cécile fait la connaissance de Mathilde, lors d’une journée portes-ouvertes à l’école de Chatou. Mais elles ne deviendront de proches amies qu’à la suite de l’incident dont Cécile dit avoir été informée par son compagnon, le jour de sa convocation par le collège interne. « Il en est rentré en me disant qu’il avait déconné avec Mathilde et qu’elle en avait parlé à Franck Gardian, se souvient-elle. Il n’a en aucun cas prétendu qu’elle aurait voulu le séduire, et a au contraire reconnu un problème sur lequel il allait devoir travailler. Il faut dire qu’il avait procédé avec elle comme avec moi. »
Encore lycéenne bien que déjà majeure, Cécile Acremant se serait, pour sa part, retrouvée au théâtre à côté de son prof de philo. « Faisant semblant de dormir, il avait eu la main baladeuse, poursuit-elle. Ne sachant pas comment réagir, j’ai préféré me sentir honorée et chanceuse, car il me plaisait et que je savais ne pas être la seule séduite par le personnage. J’ai depuis appris qu’il avait également agi ainsi avec d’autres femmes, mais lorsqu’il m’a parlé de ce problème de comportement et de sa volonté d’y remédier, j’ai été émue par son aveu de faiblesse et me suis réjouie que cela s’arrête. Peu de temps après, je lui ai proposé d’emménager chez lui, sans doute pour me prouver que je n’étais pas une parmi d’autres, mais celle qu’il avait choisie car il m’aimait vraiment. A 19 ans, j’étais sous l’emprise de cet homme, qui m’a fait couper les ponts avec presque tous mes amis et ma famille durant les trois ans que j’ai passés avec lui, au fur et à mesure que ces derniers se permettaient d’émettre des doutes ou des critiques au sujet de ses propos et écrits. »
Un témoignage à questionner
Selon Grégoire Perra, c’est plutôt lui qui était sous l’emprise de Cécile et à travers elle, de l’anthroposophie. Son ex-compagne l’aurait donc contraint à écrire cette lettre extrêmement compromettante, et ce au cas où il aurait voulu, à l’avenir, quitter l’anthroposophie pour en devenir un détracteur, ce qui n’était pas du tout à l’ordre du jour, comme il le précise dans le dernier podcast de Meta de choc. Cette lettre y est ainsi présentée comme un gage de fidélité à l’anthroposophie, sans rien dire de son contenu ni de sa destinataire. Bref, il aurait avoué à Mathilde une agression qu’il n’aurait jamais commise, en la justifiant par une névrose et une sorte de contamination pédophile, et en inventant tout cela pour céder, à l’âge de 36 ans, à l’exigence de sa compagne qui en avait 19, séduite un an plus tôt quand elle était son élève. Et ce alors qu’il écrit dans la version finale de son article « Ma vie chez les anthroposophes » que le contenu de cette lettre lui a été dicté « presque mot pour mot » par la mère de Mathilde.
« Sa version est à peine tirée par les cheveux, ironise cette dernière. C’est sans doute sa façon de se dédouaner, mais il vaut mieux en rester aux faits. C’est plus simple ! Après que Franck Gardian m’eut assuré qu’il y aurait une mesure disciplinaire, j’ai bel et bien menacé Perra de porter plainte, et nous l’aurions vraiment fait s’il n’avait pas écrit cette lettre, que je ne lui ai évidemment pas dictée pour autant. » Cécile Acremant se rappelle, quant à elle, que « Grégoire s’est demandé pendant un moment s’il allait l’écrire. Il n’en avait pas envie. Mais je lui ai dit qu’il n’avait pas le choix, car c’était la seule alternative à un procès que ni lui ni moi ne voulions ».
Il serait bien sûr précieux de pouvoir interroger directement Grégoire Perra sur ces versions multiples de l’histoire. Et d’abord sur les siennes, successives et apparemment contradictoires, y compris dans un même texte semblant surtout témoigner d’un esprit retors. Reste qu’alertant sur des rapports inappropriés entre profs et élèves dans les écoles Steiner, Grégoire Perra compte à son actif au moins une relation amoureuse avec une de ses élèves et une accusation d’agression ayant provoqué son renvoi, toutes deux passées sous silence. Cela devrait déjà interroger sur la valeur d’un témoignage qui multiplie invraisemblances, extrapolations, contradictions, omissions et mensonges. Et pas seulement sur les conditions de son départ de l’école de Chatou, que Grégoire Perra ne permet pas à un journaliste de questionner.
La méthode Perra
Celui qui officiait comme prof de philosophie, mais aussi de théâtre, dans cette école Steiner des Yvelines, déclare en effet s’être résolu à ne pas répondre aux questions qui lui seraient posées sur cette accusation d’attouchements concomitante à son départ en beau milieu d’année scolaire. Selon lui, « toute réponse serait le meilleur moyen d’alimenter cette rumeur venant des anthroposophes ». Des faits sont pourtant bel et bien là, mais Grégoire Perra n’a jamais été interrogé sur cet épisode important de sa vie en anthroposophie, malgré de nombreuses interviews revenant sur son parcours.
Un journaliste suisse a traité du départ de Chatou de Perra dans un article où l’on peut lire les deux courriers qu’il a envoyés à Mathilde. Le découvrant alors que je travaillais sur mon dernier livre, j’ai été surpris du contenu de ces lettres. Martin Bernard, l’auteur de l’article, y précise avoir été scolarisé en école Steiner et entretenir certains liens avec la mouvance anthroposophique. Il écrit ainsi des articles pour une revue s’en réclamant. Je me suis donc montré méfiant face à ce que j’avais pu lire, et au printemps 2023, j’ai contacté Grégoire Perra via Twitter pour lui demander son avis et son éclairage sur ce papier et ces courriers dont l’authenticité me paraissait douteuse. Il m’a immédiatement bloqué, et donné envie de comprendre pourquoi.
A la fin de l’été 2023, j’ai commencé à enquêter sur Perra pour le site d’info Factuel, et l’en ai informé en lui demandant un entretien. Il n’a pas répondu, mais a cherché à contacter la rédaction via son réseau de journalistes en m’accusant d’être « envoyé par les anthroposophes ». Le message est bien arrivé, sans effet, au moins dans un premier temps. Mais quelques mois plus tard, au terme de mon enquête, redoutant un procès face à un Perra qui avait tagué le média sur Twitter en le prévenant que diffuser un article sur lui consisterait à cautionner des écoles Steiner accusées de négligence, après ce qui avait été présenté par BFM TV comme des « faits de viol sur une enfant de quatre ans », Factuel, au bord du dépôt de bilan, a renoncé à me publier.
Le comportement d’un menteur
De mon côté, je n’ai pas renoncé, n’en revenant pas du comportement de ce « lanceur d’alerte » auto-proclamé, devenu une référence incontournable de la lutte contre les sectes. Après le message adressé à Factuel selon lequel j’étais « envoyé par les anthroposophes », il avait posté sur Twitter, de façon tout aussi diffamatoire et dénuée du moindre argument, que j’étais « en réalité un anthroposophe », ajoutant que je travaillais dans le cadre d’une campagne de communication visant à réhabiliter l’anthroposophie. Le tout sans que j’aie écrit une ligne sur lui, seulement parce que je m’intéressais à son cas, après avoir lu l’article de Martin Bernard et l’en avoir informé pour lui demander son éclairage.
Appelant ses followers à retweeter son message, il m’a vite montré qu’il pouvait mentir publiquement et s’employer à répandre une fausse information, en faisant preuve d’une sorte de sentiment d’impunité. Comme s’il pouvait dire n’importe quoi concernant l’anthroposophie, et refuser toute contradiction, fort du soutien d’une mission intergouvernementale et de fidèles pour lesquels la parole de Perra apparaît indiscutable. Comme celle d’un gourou. Le gourou des anti-sectes.
PS : Ce lundi 11 novembre, trois jours après que j’ai informé son avocat du début de la publication de mon enquête le concernant, Grégoire Perra a posté sur son blog un article intitulé : Le faux témoignage en bande organisée chez les anthroposophes. Fidèle à lui-même, il m’y présente en « journaliste déclassé » qui diffuse de « faux témoignages » contre lui sur mon blog, avant même de savoir ce que contiennent mes articles.
Il est bien entendu cordialement invité à venir expliquer pourquoi dans Raison sensible, et à répondre à cette enquête dans laquelle un témoignage semble effectivement faux et mensonger : le sien.