Un gourou au cœur de la lutte anti-secte (2/6) : de membre très actif à renégat
Malgré son éviction de l'école de Chatou, Grégoire Perra a poursuivi son ascension dans le milieu anthroposophe. Avant de se retourner contre ce dernier et d’adopter une opportune posture de repenti.
Quand il enseignait à l’école Perceval de Chatou, Grégoire Perra était un anthroposophe particulièrement pratiquant, et plutôt prosélyte. « A mon arrivée dans cette école Steiner, les élèves parlaient du prof de philo comme du “gourou de l’anthroposophie”, se rappelle Mathilde Quétineau, celle qui a provoqué son départ après l’avoir accusé d’attouchements. On disait que si l’on avait une question à poser, c’était à lui qu’il fallait s’adresser. Il semblait d’ailleurs être le seul à s’intéresser à l’anthroposophie. Durant les deux années scolaires que j’ai passées là-bas, aucun de mes professeurs ne nous en a parlé. »
Il faut ici préciser ce qu’il convient d’appeler un anthroposophe. La définition peut être sujette à controverse, mais littéralement, il devrait s’agir d’un membre de la Société anthroposophique, fondée voici plus d’un siècle par Rudolf Steiner. Elle compte aujourd’hui 36 branches nationales et 42 000 membres dans le monde, selon le Goetheanum, le siège mondial, sis en Suisse. En 2021, la branche française dénombrait 1 185 membres, d’après une série d’articles du Monde portant sur Rudolf Steiner et sur ce qui a pu être qualifié de « galaxie anthroposophique ». On y décrivait une anthroposophie « qui peine à recruter, et plus encore chez les jeunes », les trois quarts des adhérents ayant plus de soixante ans.
Au-delà de la Société anthroposophique stricto sensu, Le Monde a dressé le tableau d’une mouvance inspirée par Steiner. Un homme que certains dénoncent comme un « charlatan sectaire » tandis que d’autres louent un « visionnaire génial », prévient le quotidien, qui le présente de façon plus neutre en « penseur alternatif » dont « certaines des idées restent actuelles ». Et ce dans des domaines aussi variés que la pédagogie, avec les écoles Steiner-Waldorf, et l’agriculture, avec la biodynamie, mais aussi l’architecture et l’art. La série n’a consacré aucun de ses épisodes à une autre descendance de Steiner, à savoir la médecine anthroposophique, mais elle montre que la biodynamie constitue le seul secteur en expansion. Plus spécialement dans la viticulture, où de grands crus comme la Romanée-Conti ont adopté cette approche dite « plus bio que bio » en vogue depuis une vingtaine d’années, malgré des méthodes souvent jugées farfelues telles que tenir compte des cycles de la lune ou soigner sa vigne avec d’étranges mixtures. La plus connue, la préparation 500, est une corne de vache remplie de bouse, que l’on enterre durant l’hiver avant de l’épandre dans les vignes diluée et « dynamisée » dans de l’eau, selon un principe proche de celui de l’homéopathie.
Un rapport dénonçant l’école de Chatou
Bref, autour de l’anthroposophie gravite un certain nombre de pratiques inspirées par Steiner, mais l’étude de la « science de l’esprit » qu’il a imaginé a lieu au sein de la société anthroposophique, et concerne donc assez peu de monde. Grégoire Perra en était et se montrait très investi, en adepte de toutes les facettes de la pensée et de l’œuvre de Steiner. « Il m’emmenait tous les dimanches à la Communauté des chrétiens », confie Cécile Acremant, son ancienne élève et compagne. Elle évoque ici la branche véritablement religieuse de la mouvance anthroposophique, dotée de prêtres chargés d’accomplir des sacrements et de porter la « bonne parole » d’un culte chrétien renouvelé par Rudolf Steiner. Grégoire Perra assistait « à tous les offices », raconte-t-il sur son blog.
Après son départ forcé de l’école Perceval, l’homme n’a donc pas quitté l’anthroposophie, dans laquelle il fait figure d’espoir après avoir été convié en 2003 par le Comité de la société française à rejoindre un groupe de jeunes anthroposophes. Il s’y avère particulièrement productif, et bien vu par le président de la société, Antoine Dodrimont. Un homme à qui il envoie, durant l’été 2007, un rapport sur ses quatre années passées à l’école de Chatou, également adressé à Jacques Dallé, alors président de la Fédération des écoles Steiner.
Dans ce texte, Perra dépeint une école Perceval en perdition. Avec seulement quatre profs des grandes classes sur vingt « ayant une vague notion de l’anthroposophie », et une volonté de s’adapter aux directives de l’Education nationale, au détriment de concepts pédagogiques anthroposophiques. En somme, il déplore un grand laisser-aller, s’accompagnant d’une « grave promiscuité entre les professeurs et les élèves », dans un établissement où des relations amoureuses entre eux n’auraient pas constitué un problème, comme si c’était une chose habituelle. Du fait d’une absence d’autorité, les élèves auraient également adopté, entre eux, un comportement très débridé, se permettant en cours « embrassades et caresses érotiques, autant homosexuelles qu’hétérosexuelles ». Perra va jusqu’à écrire qu’en quatre ans d’enseignement, il n’a « rencontré qu’une seule classe dont les comportements sexuels affichés étaient à peu près sains ».
« Il parlait de lui !, commente Jacques Dallé. Je sortais de 20 ans passés à Chatou et cela ressemblait plus à une ascèse monacale qu’à une orgie post-soixante-huitarde. A la Fédération des écoles, on s’est dit qu’il délirait et que ce n’était pas la peine d’insister avec lui. Mais à la société anthroposophique, on avait investi sur Grégoire Perra. » De son côté, Antoine Dodrimont déclare que « l’école de Chatou ne m’avait pas informé de ce qui s’était passé et je n’ai pas prêté attention à son rapport, étant à l’époque très occupé. Mais je le voyais malheureux et entendais des rumeurs sur les raisons de son départ de Chatou. J’ai donc écrit une lettre à l’école, à titre personnel, pour demander de ne pas lui faire une mauvaise réputation, disant que je n’accorderais, pour ma part, pas de crédit à ces rumeurs. Quand on donne sa confiance à quelqu’un, on est parfois au-delà de la raison... »
Une ascension contrariée
Il est utile d’indiquer qu’en 1999, un rapport parlementaire sur « les sectes et l’argent » avait épinglé la mouvance anthroposophique et les écoles Steiner. Alors qu’un précédent rapport de 1995 avait conclu à « l’innocuité objective » de l’anthroposophie, elle était cette fois considérée comme un mouvement sectaire important, en raison de son influence dans les secteurs de l’éducation et de la santé, ainsi que de son poids financier. Mais le rapporteur principal, le député socialiste Jacques Guyard, fut condamné pour diffamation après avoir qualifié de secte le mouvement anthroposophique, avant d’être relaxé en appel, la cour ayant confirmé le caractère diffamatoire de ses propos, tout en lui reconnaissant l’excuse de bonne foi.
Les écoles Steiner ont alors traversé une période de turbulence et Libération les a qualifiées de « victimes de sectarisme », neuf mois après une inspection simultanée de quatorze établissements. Janine Tavernier, présidente de l’UNADFI (Union des associations de défense des victimes de secte), s’indigna que l’on stigmatise ces écoles où ses enfants avaient été éduqués. « Nous nous intéressons aux victimes et n’en avons jamais reçu des écoles Steiner », m’a-t-elle déclaré en 2001 pour le magazine Technikart, estimant « anormal » de les voir « cataloguées comme sectes ». Elle annonçait en même temps quitter la présidence de l’UNADFI, déplorant une nouvelle tendance dans l’association portée par des « personnes qui ont envie de s’intéresser aux doctrines et aux philosophies ». Janine Tavernier considérait que l’on sortait ainsi du rôle d’aide aux victimes, et s’inquiétait d’une instrumentalisation du phénomène sectaire.
C’est après cette vague de suspicion propice à la remise en question que Grégoire Perra s’implique de plus en plus dans le mouvement anthroposophique. Il écrit dans des revues et se rapproche du comité de direction, se posant en réformateur. « Grégoire défendait l’anthroposophie mais ne voulait pas que l’on y cultive sectarisme et dogmatisme, se rappelle Antoine Dodrimont. Ayant toujours dénoncé ce type d’attitude, j’étais d’accord, et ai été séduit par sa façon de travailler. Avec sa formation intellectuelle apparemment solide, j’ai pensé qu’il pourrait servir de pont entre l’anthroposophie et la jeunesse. » « Un jeune motivé, c’est appréciable, décrypte Raymond Burlotte, ancien membre du comité directeur de la Société anthroposophique française qui a lui aussi bien connu Perra. Intelligent et pourvu d’un talent oratoire, il a connu une espèce d’ascension dans la société anthroposophique et a cru qu’il pourrait arriver au sommet. » Depuis qu’il en est un adversaire acharné, il se présente d’ailleurs comme un ancien « ponte » de l’anthroposophie, une « sommité » ayant été « à deux doigts d’en devenir un gourou ». Ce qu’Antoine Dodrimont dément, soulignant que Grégoire Perra n’a « jamais exercé aucune responsabilité » dans la société anthroposophique.
Le prof de philo s’est néanmoins vu commander un rapport sur la formation des jeunes à l’anthroposophie, remis en deux versions successives au début et à la fin de l’année 2008. Daniela Hucher, alors membre du comité directeur de la société anthoposophique française, se souvient qu’« il n’a pas accepté de discuter de son travail final sur l’introduction à l’œuvre de Steiner. On lui avait donné un rendez-vous pour parler de ses écrits et de nos intentions plus modestes que ce qu’il envisageait, mais il n’est pas venu. » « Grégoire Perra est une personnalité fragile qui n’accepte pas la critique, estime Christophe Dekindt, médecin anthroposophe qui fut son ami après avoir été son camarade de classe à l’école Steiner de Verrières-le-Buisson. Il me l’a confié, et je l’ai constaté après que l’on a publié ensemble un livre sur le spirituel au cinéma, qui n’a pas été bien accepté par le milieu anthroposophe. Plus tard, quand il a commencé à monter dans ce milieu mais que des critiques ont été émises contre ses articles ou ses rapports, il l’a également très mal vécu. »
Deux ruptures, puis un témoignage
Au printemps 2009, Perra subit un nouvel affront, peut-être le pire : Cécile le quitte. « Il m’avait coupée de mon entourage et je n’en pouvais plus, relate-t-elle. Je redoutais sa réaction et ai espéré pendant six mois que l’on se sépare d’un commun accord, en vain. Alors un jour je suis partie. Pendant des mois, il m’a envoyé des messages et des lettres, dans lesquels il cherchait à me culpabiliser de son état moral et me reprochait de l’avoir quitté sans explication, jusqu’à ce que je le somme d’arrêter de me contacter par une lettre recommandée l’avertissant que je porterais plainte s’il continuait. »
Deux mois après cette rupture, Grégoire Perra démissionne de la société anthroposophique. Il y sera encore accueilli en avril 2010 pour donner une ultime conférence. Une sévère condamnation du milieu anthroposophique et de sa pensée. Perra lui reproche un « enfermement », une « insincérité à l’égard de soi-même », une « incapacité à la culpabilité » et une « folie ». Ce qui, après un an d’enquête et d’observation, me fait penser à lui. Tout comme quand il affirme dans sa conférence, après ne pas être parvenu à imposer ses vues au comité de direction de la branche française, qu’« il n’y a plus aucun espoir de changement interne » dans un milieu anthroposophique enfermé « partout dans le monde » dans une « animalité de la pensée ».
Un an plus tard paraît dans la revue de l’UNADFI un article d’une quarantaine de pages signé Grégoire Perra. Intitulé « L’endoctrinement des élèves à l’anthroposophie dans les écoles Steiner-Waldorf », c’est un témoignage de repenti. Vice-présidente de l’UNADFI et responsable de sa revue Bulles, Marie Drilhon l’a recueilli en accompagnant son auteur dans sa rédaction. Elle le raconte dans une interview accordée à un dénommé Kalou, précisant que Perra s’était adressé à l’une des associations de leur réseau. Elle y parle d’une « grande histoire avec Grégoire Perra », qui apparaît en témoin rêvé : « Ce qu’il nous disait était tellement proche de ce que nous supposions. Mais nous n’en avions pas d’éléments concrets, pas de témoignage de l’intérieur. » Ainsi, dans cette UNADFI qu’avait quittée Janine Tavernier dix ans plus tôt, on soupçonnait un endoctrinement, jusqu’ici indétectable, et Grégoire Perra est venu le confirmer. En affirmant que cet endoctrinement serait en fait permanent, et sujet à de fréquentes dérives relevant du droit pénal.
Le désormais ex-anthroposophe s’attache en effet à soutenir dans son témoignage que les écoles Steiner se livrent à un endoctrinement subtil « dans toutes les matières enseignées », et il l’assortit d’affirmations sur l’existence d’une proximité entre profs et élèves suscitant des « histoires illicites ». Il n’évoque pas la raison de son départ de Chatou, mais présente « les fréquents dérapages » comme faisant « partie intégrante du système d’endoctrinement » qui aurait besoin de cette proximité pour qu’opèrent « la fascination et la sujétion des élèves à leurs professeurs ». Des professeurs qui auraient tendance à délaisser les enfants réticents à cet endoctrinement, voire à leur témoigner d’un certain mépris, une animosité qui aurait incité à des maltraitances infligées dans l’école où Perra fut scolarisé. Il écrit qu’il n’y était « pas rare que les cours de récréation soient le théâtre de “chasses à l’homme” et de “passages à tabac” systématiques de certains élèves qui n’entraient pas assez dans le moule Waldorf ». Pour cette raison, des enfants risqueraient donc d’être châtiés par leurs camarades, avec la complicité implicite de professeurs.
L’UNADFI ne répond plus
Dans son interview à Kalou, Marie Drilhon assure avoir fait attention « à ce qu’il n’y ait pas de choses qu’il ne puisse prouver » dans le témoignage de Perra. J’ai donc voulu interroger la vice-présidente de l’UNADFI pour savoir comment elle avait vérifié l’exactitude et la représentativité des dires de son témoin. Mais, après m’avoir donné un accord de principe, elle m’a finalement conseillé, en réponse à ma demande d’interview, de « contacter l’avocat de Grégoire Perra ». La voix de l’UNADFI serait ainsi celle du défenseur de l’ex-anthroposophe. J’ai répondu à Marie Drilhon que cela m’étonnait et ai ré-itéré ma demande d’entretien, mais elle n’a plus répondu. Auparavant, j’avais sollicité celle qui était la présidente de l’UNADFI au moment de la publication du témoignage, l’ex-députée Catherine Picard, qui m’avait donné un rendez-vous. Mais elle m’a finalement annoncé par SMS que, « renseignement pris », elle ne l’honorerait pas. Précisons que Perra avait commencé à dire autour de lui que j’étais envoyé par les anthroposophes, avant de me dénoncer publiquement comme étant en fait l’un des leurs. Deux mensonges.
Dans une prochaine partie où je traiterai du volet judiciaire de cette histoire, je reviendrai sur le contenu du témoignage de Perra à l’UNADFI, qui a fait l’objet d’une plainte pour diffamation de la part de la fédération des écoles Steiner. Ce témoignage a en revanche été très apprécié par la Miviludes, dont le secrétaire général a vivement remercié Grégoire Perra dans un courrier officiel, daté du 10 août 2011, où sont saluées « la précision et la pertinence » de ses informations et la « finesse de son analyse ». Un adoubement pour un témoin que cette autorité interministérielle reconnaît dès lors comme précieux, ce qui a perduré jusqu’à aujourd’hui, quoique Perra ait pu dire.
Afin de comprendre ce qui justifie cet adoubement d’un homme émettant de graves accusations, j’ai contacté des présidents successifs de la Miviludes : Georges Fenech, Serge Blisko et Christian Gravel. Aucun ne voulait parler de Grégoire Perra, tout comme les responsables actuels.
Là aussi, j’aurais souhaité savoir comment cette mission interministérielle et ses dirigeants ont cherché à vérifier la pertinence et la réalité des dires de Perra, que la mission relaie encore dans son dernier rapport comme source principale sur l’anthroposophie. Elle ne s’appuie par ailleurs sur aucun travail académique réalisé sur une pédagogie centenaire pratiquée dans de nombreux pays, alors que les études universitaires ont plutôt tendance à contredire le lanceur d’alerte autoproclamé. Par exemple une étude allemande où l’on peut lire que « les écoles Waldorf sont tout sauf des institutions d’auto-recrutement pour le mouvement anthroposophique ». Je note également que les nombreuses inspections menées dans les écoles Steiner, dont plusieurs sont sous contrat avec l’Education nationale, n’ont pas constaté que l’enseignement dispensé relevait d’un endoctrinement sectaire.
De la précision du témoignage de Grégoire Perra
Comme je l’ai souligné en introduction, l’objet de cette enquête n’est pas de défendre l’anthroposophie ou les écoles Steiner, sur lesquelles je ne porterai pas d’avis. Je m’attache seulement à mettre en lumière comment un témoignage a pu devenir la référence d’autorités et d’organismes incarnant la lutte contre les sectes en France, alors qu’il repose sur la vision très personnelle d’un individu dont le parcours et le discours apparaissent discutables. Ce Grégoire Perra, qui prétend délivrer « la vérité sur les écoles Steiner-Waldorf et l’anthroposophie », le nom de son blog où il accumule d’innombrables articles visant à étayer sa dénonciation d’une mouvance sectaire. Des pages et des pages qu’il serait interminable de décortiquer intégralement pour y démêler le vrai du faux, le douteux du crédible, le témoignage fidèle de l’extrapolation malhonnête ou l’analyse pertinente de l’interprétation biaisée et à charge.
La lecture d’un seul de ses articles permet toutefois de remarquer le rapport particulier de Perra à la réalité, qu’il n’hésite pas à tordre de manière grossière pour la faire rentrer dans un discours caricaturalement à charge. Publié en 2013 sur son premier blog, ce texte répond à un article du site d’info Slate consacré aux écoles alternatives de type Montessori, Freinet et Steiner. Perra s’y offusque que l’on puisse les placer sur le même plan. Selon lui, les écoles Steiner ne sauraient être classées parmi les « pédagogies innovantes », car elles ont pour source la doctrine ésotérique délirante de l’anthroposophie. Ces écoles s’opposeraient en outre violemment aux méthodes d’enseignement différentes de la leur, comme en témoignerait la venue de la directrice de l’Association Montessori France, Patricia Spinelli, lors d’une journée de formation pédagogique, dite d’ouverture, organisée à l’Institut Rudolf Steiner de Chatou, un organisme de formation des professeurs. Perra relate que « la pauvre n’avait même pas pu finir son intervention et avait bien failli se faire “lyncher” par les étudiants, outrés des modalités de la méthode qu’on venait de leur présenter et scandalisés que l’on puisse appeler “pédagogie” un type de prise en charge des élèves basé sur des principes si divergents des préceptes anthroposophiques de Rudolf Steiner ! »
Face à cette scène où une invitée se retrouve ainsi mal traitée, j’ai contacté Patricia Spinelli pour lui demander si elle se rappelait de cette journée. « Je m’en souviens très bien », a-t-elle répondu, mais pas parce qu’elle en était sortie quasi lynchée : « Mon intervention s’est très bien passée. J’ai pu exposer la pédagogie Montessori auprès de personnes étudiant la pédagogie Steiner, respectueuses et, dans mon souvenir, attentives. » Avec Grégoire Perra, une allocation écoutée respectueusement peut ainsi se transformer en manifestation d’un violent sectarisme.
Dans ce même article de blog, Perra évoque l’une de ses anciennes camarades de classe à l’école de Verrières-le-Buisson, devenue styliste et interrogée par Slate. Elle considère que son école lui a permis d’acquérir de la confiance en elle et la volonté d’aller au bout de ses projets, car « à Steiner, il faut d’abord faire pour apprendre ». On estime en effet dans ces écoles que l’expérimentation personnelle est fondamentale dans l’éducation. Mais pour Perra, Anne Willi a surtout bénéficié du soutien financier de son père, comme l’aurait montré son « chef-d’œuvre », un projet personnel réalisé par chaque élève en fin de scolarité. En l’occurrence un défilé de mode avec ses créations. « Les robes étaient si nombreuses que je crois bien que le seul prix des tissus devait représenter un an de frais de scolarité, ce qui est loin d’être une petite somme », persifle-t-il. Et d’ajouter que « fille d’un grand photographe fortuné », la future styliste a « bénéficié de subsides importants » pour « se former dans de grandes écoles, effectuer de longs séjours à l’étranger, avoir les fonds nécessaires au lancement de sa boutique ».
En fait, Anne Willi nous apprend que « pour mon “chef-d’œuvre”, j’ai dessiné et fabriqué moi-même une jupe, une robe, un boléro et un manteau, soit quatre pièces. Des vêtements réalisés dans une popeline du marché Barbès ». Elle précise : « Mon père était d’une famille bourgeoise, mais pas fortunée. Après mon école de mode, je suis partie à 21 ans en Israël avec un ami israélien de l’école et nous avons créé à Tel Aviv notre marque de vêtement. Sans un sou, nous avons tout emprunté à la banque pour le premier défilé, puis pour notre première boutique quelques années plus tard. » Soit un autre exemple de la précision et de la pertinence des informations fournies par Grégoire Perra. Là, on serait plutôt dans l’inexactitude et la médisance. Ou la réalité parallèle d’un gourou n’ayant pas réussi à parvenir à ses fins dans l’anthroposophie, et s’étant opportunément trouvé un nouveau type d’adeptes en attente d’un prêche de repenti cauchemardesque. Aussi invraisemblable soit-il.