Un gourou au cœur de la lutte anti-sectes (5/6) : en roue libre médiatique
Les médias ont érigé le récit à la fois risible et terrifiant de Grégoire Perra en référence incontournable et incontestée. Ne pas abonder dans son sens vous assimile vite aux anthroposophes.
Si Grégoire Perra est devenu Goldorak grâce à ses victoires au tribunal - avec la dernière emportée à Evreux, il se targue désormais d’en compter sept -, c’est sa prise en considération médiatique qui a largement porté sa voix. Dès son témoignage pour l’UNADFI en 2011, il a certes été adoubé par la Miviludes, mais sans avoir guère d’échos au-delà des organismes de lutte contre les sectes. De même, après son premier procès - qui, tout en le relaxant, avait jugé ses propos diffamatoires - il demeurait ignoré par la presse. Cette dernière ne relayait pas sa dénonciation de l’anthroposophie et de ces écoles Steiner pouvant au contraire être présentées, dans les médias, comme des établissements relevant d’une pédagogie alternative, comparable à celles de Montessori ou de Freinet. Ce qui indignait Perra.
« Pourquoi la presse soutient-elle les écoles Steiner-Waldorf ? », questionnait-il dans un article publié sur son blog en 2015, en apportant sa réponse. Il y déplore « un parti-pris de sympathie » qui « aurait dû faire honte à l’ensemble de la profession », et l’interprète comme un goût de l’élite pour des « écoles à part ». En attesterait la présence d’enfants de personnalités dans les écoles Steiner, tel que le fils du « milliardaire Francis Lai » (compositeur à succès dont je doute qu’il fut milliardaire) qui était dans sa classe en tant qu’élève, ou celui de l’animateur Vincent Lagaf dont il fut le professeur. Dans la classe de la sœur de Grégoire Perra se trouvait le rejeton du célèbre journaliste Roger Gicquel, présentateur du 20h de TF1 à la fin des années 1970. Selon Perra, cette clientèle people aurait permis à ces écoles de se faire un carnet d’adresse de prestige, et donc d’avoir des journaux à disposition. Il suffisait « de demander à tel ou tel directeur de rédaction de faire venir un journaliste qui aura pour mission de pondre un papier favorable ». Les journalistes ainsi mandatés auraient forcément adopté la ligne complaisante fixée par leurs rédacteurs en chef, eux-même au service des écoles Steiner. Le repenti ne donne aucun exemple pour étayer son point de vue un brin complotiste, mais montre déjà toute la considération qu’il porte à la profession.
Le tournant du « Diplo »
Pour Grégoire Perra, un bon journaliste est un journaliste qui avalise son discours. Ce que va faire Jean-Baptiste Malet en publiant dans Le Monde diplomatique, en juillet 2018, une enquête sur l’anthroposophie. Une « discrète multinationale de l’ésotérisme », d’après ce journaliste qui y voit aussi un « empire ». Avec d’abord des banques comme la néerlandaise Triodos et l’allemande GDS qui gèrent respectivement « 14 milliards et 4 milliards d’euros d’actifs » (soit très peu si l’on compare aux montants gérés par les plus grandes banques), puis les « 1 850 jardins d’enfants et 1 100 établissements scolaires Steiner-Waldorf » répartis dans 65 pays. Jean-Baptiste Malet y ajoute les laboratoire Weleda et Wala, aux chiffres d’affaires respectifs de 400 et 130 millions d’euros, 3 700 médecins anthroposophes exerçant dans le monde, une université en Allemagne, un label Demeter qui certifie 1 875 kilomètres carrés de terre agricole cultivée en biodynamie, et un milliardaire, « anthroposophe affiché » et fondateur d’une chaîne de droguerie réalisant 10 milliards d’euros de chiffre d’affaire annuel. Sont ainsi amalgamés un riche particulier et des entités juridiquement et financièrement indépendantes, pas forcément rentables, mais ajoutez-y un lobby commun à Bruxelles, et l’ensemble accrédite l’idée d’un empire dirigé depuis le Goetheanum, le siège de la société anthroposophique, certes actionnaire de référence du laboratoire pharmaceutique Weleda. Une entreprise loin d’avoir les résultats des grands noms de Big Pharma.
Dans le droit-fil d’un Perra, le savoir-faire journalistique en plus, Jean-Baptiste Malet sublime, si ce n’est fantasme, la puissance de l’anthroposophie, tout en pointant certains propos de son fondateur. Parfois loufoques, quand Rudolf Steiner déclare que Mars serait une « planète liquide » et la lune un « amas de cornes vitrifiées », ou avec « une dimension plus sombre » quand il affirme l’appartenance des peuples germains et nordiques à la « race aryenne », ou critique le recul du « peuple français en tant que race » du fait de « la transplantation de noirs vers l’Europe ». Des propos plus que centenaires que le journaliste ne contextualise guère, tout en éludant ceux dans lesquels Steiner s’oppose clairement à tout racisme. Jean-Baptiste Malet évoque en revanche les liens d’anthroposophes allemands avec le régime nazi, sans mentionner que ce dernier a interdit la Société anthroposophique.
Le seul point soulevé par cette enquête véritablement inquiétant, et surtout légalement condamnable, c’est Grégoire Perra qui l’apporte
Bref, l’article développe une vision à charge, agrémentée de l’affirmation que le mouvement dispose de puissants relais politiques, puisque des co-fondateurs du parti écologiste allemand sont anthroposophes et que la ministre de la culture française, Françoise Nyssen, a créé une école avec un pédagogue Steiner bien connu. Mais en faisant de l’anthroposophie une multinationale, en sélectionnant des paroles aujourd’hui plus que malvenues de son fondateur et en soulignant l’appartenance de certains de ses membres au parti nazi dans les années 1930, sans établir pour autant de lien avec une activité aujourd’hui répréhensible, il ne montre pas vraiment en quoi les anthroposophes représenteraient actuellement un danger. Même s’ils croient à la survie de l’esprit après la mort, ou à l’existence de forces spirituelles invisibles, ce que signale aussi Jean-Baptiste Malet.
En fait, le seul point véritablement inquiétant, et surtout légalement condamnable soulevé par cette enquête, c’est Grégoire Perra qui l’apporte, lui qui aurait « connu des anthroposophes malades du cancer ». Selon le repenti, ils auraient « refusé d’être soignés en France », partant à l’étranger dans une clinique anthroposophique où, « en guise de soin », ils auraient reçu des injections de gui et de l’homéopathie. « Aucun n’est jamais revenu », assure Perra dans le Diplo, ajoutant que « certains ont légué tous leurs biens à l’anthroposophie ». De lourdes accusations, signifiant qu’un anthroposophe malade du cancer ne se soigne pas correctement, et meurt d’avoir suivi les préceptes médicaux du mouvement, l’anthroposophie s’accaparant dans certains cas l’ensemble de son patrimoine.
J’ai demandé à Jean-Baptiste Malet comment il avait vérifié l’exactitude de ce que lui avait déclaré Perra. « Vous vous comportez comme un inquisiteur ! », m’a-t-il répondu dans un bref échange téléphonique, sans apporter d’élément susceptible de valider les dires de son témoin, si ce n’est que France 2 avait diffusé une enquête sur la médecine anthroposophique. Effectivement, Complément d’enquête y a consacré un sujet, en décembre 2019, plus d’un an après la publication de l’article du Diplo. Mais si Grégoire Perra, également présent dans ce reportage, y appelle à l’interdiction des écoles Steiner et de la médecine anthroposophique, on n’y apprend pas que des Français auraient quitté le pays pour aller se faire soigner à l’étranger sans jamais en revenir. Une séquence en caméra cachée montre un médecin prescrivant des extraits de gui, en complément des traitements anticancéreux conventionnels, déclarer à son faux patient journaliste que ce n’est pas la peine d’en informer son oncologue. Mais il ne lui demande pas de renoncer à suivre le traitement prescrit par ce dernier, et la scène ne correspond pas du tout à ce qu’a affirmé Grégoire Perra à Jean-Baptiste Malet.
Témoin privilégié, et expert disant la vérité
Bien qu’il m’ait déclaré que Perra n’était que l’une de ses sources, Jean-Baptiste Malet a repris l’essentiel de son discours. Avec l’idée d’un mouvement très puissant aux croyances préoccupantes, qui pratique dans ses écoles un endoctrinement insidieux, notamment par l’intermédiaire de ce que le journaliste qualifie de « cérémonie initiatique », la spirale de l’Avent. Un rituel réalisé par les élèves avant Noël, dont Grégoire Perra vient expliquer la signification, en expert à la fois de la doctrine anthroposophe et de ses dérives sectaires.
Sans aller jusqu’à reprendre ses accusations de violence et de comportements sexuels illicites dans les écoles Steiner, Jean-Baptiste Malet avalise ainsi bel et bien la parole de Grégoire Perra dans Le Monde diplomatique. Et tandis que le jeune journaliste remporte cette année 2018 le prestigieux prix Albert Londres pour une enquête, sans doute beaucoup plus solide, sur la fabrique de concentré de tomates, son article sur l’anthroposophie devient une référence. Et le premier d’une longue série dans laquelle le « lanceur d’alerte » occupe cette position de témoin privilégié. Comme dans Complément d’enquête où il pourra, par exemple, affirmer que « les anthroposophes » soignent une grippe ou un nez congestionné en se mettant sous les narines de la pâte dentifrice Weleda. Sans que sa parole ne soit mise en doute, et pas davantage prouvée.
Toujours dans la mesure, Perra compare alors Jean-Baptiste Malet à un « chevalier », « doué de capacité d’empathie », et s’inscrivant dans les pas de journalistes qui ont « par leur plume changé le cours de l’Histoire ». Avec un papier qui « fera date et est dors et déjà historique », car de nature à pouvoir marquer « l’aube du jour où le projet de civilisation anthroposophique aura cessé de se répandre de manière souterraine et où toutes les consciences claires, soucieuses du vrai progrès de l’humanité, se seront réveillées face à un danger que la plupart ignoraient ». Cela change « des articles ressemblant davantage à des prospectus rédigés par les anthroposophes qu’à de la presse informative au sens noble du terme », que l’on pouvait encore, selon Perra, « voir presque chaque semaine s’étaler dans les pages des grands journaux ».
Thomas Mahler accueille tout ce que dit le repenti comme ces étranges vérités des anthroposophes
Désormais, c’est Perra qui aura droit aux honneurs de la presse. D’abord dans Le Point où le journaliste Thomas Mahler lui consacre en avril 2019 une longue interview censée révéler « les étranges “vérités” des anthroposophes ». Il y parle d’une « galaxie ésotérique en plein essor », un mouvement « en expansion phénoménale » qui aurait « réussi à nommer une ministre en France », Françoise Nyssen, bien qu’elle ne soit pas anthroposophe et ait renvoyé le directeur de son école, ancien responsable de la fédération des écoles Steiner, après l’article du Diplo.
Perra a l’habitude de dénoncer comme anthroposophe à peu près tout individu en ayant approché un, et il appelle à l’interdiction de l’anthroposophie et de ses déclinaisons, mais à la veille d’un procès où il ne s’agit pas de faire preuve d’animosité, il soutient ne pas attaquer « les personnes ni même les institutions », seulement « remettre en question une doctrine, mise en place par Rudolf Steiner ». Celle selon laquelle les animaux descendraient de l’homme, les escargots seraient « des oreilles qui se baladent toute seules » et les éléphants des « nez géants sur pattes ». Moins drôle, il insiste à nouveau sur « les liens profonds entre l’anthroposophie et le nazisme », renvoyant au rang de « fable répandue par les anthroposophes » le fait qu’ils auraient été victimes du régime nazi, alors que la Société anthroposophique a bien été interdite en 1935 en Allemagne par la Gestapo. Ce que ne relève pas Thomas Mahler, qui accueille tout ce que dit le repenti comme ces étranges vérités des anthroposophes. Avec une doctrine aussi absurde qu’inquiétante, qui conduirait notamment les professeurs à ne pas intervenir en cas « d’abus sexuels et ou d’agressions », car cela ferait « courir le risque d'interférer avec le karma des élèves ».
L’anthroposophie devient la secte préoccupante
Cette idée que l’on accepterait chez les anthroposophes la violence, ou la maladie, pour ne pas contrarier le karma, Grégoire Perra va la colporter un peu partout. Dans les questions que je lui ai adressées, j’ai demandé sur quelle base doctrinale (ou autre) il se fondait pour affirmer que les professeurs des écoles Steiner auraient laissé libre cours à des violences entre enfants afin de respecter leur karma. Sans réponse de sa part, j’ai recueilli l’avis de Loïc Chalmel, professeur émérite en sciences de l’éducation à l’Université de Haute-Alsace, spécialiste des pédagogies, et connaisseur de celle créée par Steiner. « Penser qu’il faut laisser faire car cela respecterait le karma va à l’inverse du projet éducatif qui est justement de changer le karma, en faisant en sorte que l’élève puisse progresser et sortir de contraintes dans lesquelles il est inscrit », explique Loïc Chalmel. Lui-même auteur d’une présentation de La philosophie de la liberté, le livre majeur de Rudolf Steiner, il souligne que ce dernier, loin d’imposer une doctrine dictant des pratiques et des croyances, incitait avant tout à « développer la liberté, l’individualisme. Mais en sortant des choses de leur contexte, on peut lui faire dire n’importe quoi ».
Un tel point de vue d’universitaire n’est jamais opposé à Grégoire Perra, qui a donc tout loisir de dénoncer une doctrine délirante et malsaine qu’insuffleraient plus ou moins insidieusement ces anthroposophes qui veulent le faire taire en le harcelant au tribunal. Après l’interview au Point, il peut ainsi tranquillement dire sur France Inter que les professeurs des écoles Steiner croient que la lune est peuplée de nains hurleurs, et imprègnent leurs élèves de ce type de croyance. Sur Arte, il assure que ces professeurs ne cherchent pas à enseigner ou à transmettre des connaissances à leur élèves, mais à sauver leur âme pour leur éviter de dégénérer et de se réincarner dans « la race des méchants ». Dans L’incorrect, il est encore celui qui livre la signification de la spirale de l’Avent dans un papier qui transcrit clairement son discours en affirmant notamment que toute la vie des anthroposophes est « dictée par les enseignements du maître ». On y retrouve aussi l’argumentation du Monde Diplomatique sur une anthroposophie décrite comme une puissance financière et un groupe de pression, ce qui témoigne du vaste champ d’influence médiatique d’un Perra couvrant aussi bien la gauche radicale du Diplo que la droite dite extrême de L’incorrect. Mais le repenti s’adresse aussi au grand public au 20h de France 2, où il affirme que les cours seraient modifiés dans les écoles Steiner en cas d’inspections pour tromper l’Education nationale, comme pour mieux dissimuler l’enseignement de leur doctrine.
Les enfants d’anthroposophes, extrêmement minoritaires, seraient laissés libres d’être les tyrans de la cour, sans que les parents des autres élèves ne viennent s’en plaindre
Comme en roue libre depuis 2019 et sa seconde victoire au tribunal, Grégoire Perra occupe désormais un front médiatique où l’anthroposophie est devenue, par son truchement, un important sujet de préoccupation. Le dernier rapport de la Miviludes indique d’ailleurs qu’en 2021, c’est le groupement visé par la mission interministérielle qui suscite le plus grand nombre de demandes des journalistes, avec deux fois plus de sollicitations que pour la Scientologie. Et à peu près partout, la vision de Grégoire Perra ressort, comme dans Slate où la pédagogie alternative séduisante de 2013 s’avère huit ans plus tard, sous la plume de Laure Dasinieres, réduite à « la loi du silence des écoles Steiner-Waldorf » en matière de violences, d’abus et de racisme. Elisabeth Feytit, co-auteure du livre d’entretien de Grégoire Perra, y déclare que « de nombreux témoignages de parents indiquent que certains enfants sont moins bien traités que d'autres, notamment s'ils sont roux ou non blancs », mais aucun de ces témoignages n’est rapporté. Seul Perra soutient que les enfants afro-colombiens de son ex-compagne auraient été harcelés ou insultés pendant toute leur scolarité. Il évoque à nouveau ce karma que les professeurs laisserait délibérément s’accomplir dans la violence, et ajoute que « tout est permis pour les enfants d’anthroposophes », comme si ces derniers avaient toute latitude pour violenter leurs camarades. Rappelons encore que les enfants d’anthroposophes sont extrêmement minoritaires dans ces écoles privées. Pourtant, à lire cet article, ils seraient laissés libre d’être les tyrans de la cour, sans que les parents des autres élèves ne viennent s’en plaindre. Rien n’étaye cela, mais ça passe encore, sous couvert de loi du silence.
Silence sur l’accusation d’attouchements
Dans ces retranscriptions du témoignage de Grégoire Perra manque tout de même la plupart du temps la question des comportements sexuels illicites. Mais en octobre 2019, le “lanceur d’alerte” annonce sur son blog qu’une journaliste et détective privée, Margaux Duquesne, « remarquable spécialiste de la criminalité organisée », vient de franchir « un cap important, peut-être même décisif », en publiant sur son blog une enquête titrée : « Y a-t-il une omerta sur les abus sexuels dans les écoles Steiner-Waldorf ? » « Les victimes parlent enfin ! », se réjouit Perra face à des récits qui « font frémir, glacent le sang, suscitent un immense sentiment de révolte et d’indignation ». « Rien ne pourra plus arrêter la parole qui s’est libérée », écrit-il, d’autant que « des plaintes devraient voir le jour ».
Or qu’y a-t-il dans cet article ? Une hypothétique affaire de viols sur des jumeaux de trois ans par un individu non identifié extérieur à l’école de Verrières-le-Buisson, conclue par un non-lieu en 2005 ; dans cette même école, une histoire d’attouchements supposés entre enfants de maternelle, montée en épingle par la détective comme des « cas d’agressions sexuelles récurrentes », mais sans suite ; une possible agression sur une élève de 15 ans aux Etats-Unis, datée de 2001, et sans plainte ; une autre histoire américaine évoqué dans un livre autobiographique de 2013 traitant du pouvoir transformateur de la nourriture, mais sans aucune arrestation ; enfin, le témoignage d’un ancien élève de l’école de Chatou disant que son prof de philo sortait avec une élève de sa classe. Soit le profil de Grégoire Perra, ce que se garde d’écrire Margaux Duquesne, qui a refusé de s’exprimer dans mon enquête. Comme pour Laure Dasinières et bien d’autres, la loi du silence paraît s’imposer au sujet de Grégoire Perra.
Comptant parmi les rares qui ont accepté d’être interrogés, les journalistes Jean-Loup Adénor et Timothée de Rauglaudre, auteur du livre Le Nouveau Péril sectaire, m’ont déclaré s’être abstenus de retranscrire ce que Perra affirme sur « de supposées violences sexuelles entre enfants ou des professeurs sur les enfants, en l'absence de témoignages plus directs ». Ils n’ont pas non plus cherché à savoir pourquoi le prof de philo avait dû quitter l’école de Chatou, alors qu’ils étaient au courant des accusations d’attouchements par une élève. « Cela ne m’intéresse pas, ce n’est pas mon sujet », m’a déclaré Jean-Loup Adénor. Pourtant, le fait qu’un prof ait été écarté pour comportement sexuel inapproprié avec des élèves, puis se mette à dire publiquement que ce type de comportement est en fait courant dans les écoles Steiner, tout en niant qu’il fut le sien, cela questionnerait la crédibilité de son témoignage. « C’est sûr que s’il essayait de se dédouaner ainsi d’un cas d’agression sexuelle, ça serait problématique... », reconnaît d’ailleurs Adénor.
L’accusation d’attouchements, sans doute révélatrice de sa façon de maquiller la réalité, a été médiatiquement réduite à une « rumeur venant des anthroposophes »
Timothée de Rauglaudre explique de son côté qu’ils n’ont pas mentionné l’accusation d’agression sexuelle de Mathilde Quétineau car ils n’en auraient pas eu connaissance, si ce n’est par le biais d’ « un vague article de blog à charge contre Grégoire Perra et en défense des écoles Steiner dont le sérieux ne nous a pas sauté aux yeux ». A savoir l’article de Martin Bernard, dans lequel on trouve des aveux qui n’ont rien de vague. Comme le papier du journaliste suisse qui se réfère à plusieurs études universitaires sur les écoles Steiner contredisant les affirmations de Perra. Des sources également ignorées par les deux journalistes français, Jean-Loup Adénor m’ayant avoué ne connaître l’existence d’aucun universitaire ayant travaillé sur les écoles Steiner, bien qu’il y en ait un certain nombre, en France et surtout à l’étranger. Sceptique sur la supériorité du témoignage de Perra par rapport à des travaux académiques, je lui avais demandé ce qui leur permettait de soutenir qu’il était celui qui connaissait « mieux que quiconque les rouages de l’anthroposophie ». Une question à laquelle aucun des deux n’a été capable de répondre.
Alors que cet épisode important de la vie en anthroposophie de Grégoire Perra est documenté et a été évoqué dans chacun de ses procès, sa mise à l’écart de l’école de Chatou est occultée dans les articles qui reprennent ou relaient son témoignage. A la demande de l’avocat de Perra, le Club de Mediapart a même censuré celui de Martin Bernard, publié en premier lieu sur cette plateforme de blogs par le journaliste suisse. Mediapart m’a expliqué que son retrait s’était justifié car l’article avait été considéré comme contrevenant à la charte de participation du club qui proscrit tout « propos injurieux, diffamatoires, portant atteinte à la vie privée, au droit à l'image, ou à la réputation et aux droits d'autrui ». J’ai demandé quels étaient les propos litigieux dans ce qui était une enquête, mais Mediapart a alors refusé de répondre. Et finalement, cette histoire d’attouchements, sans doute révélatrice de la façon qu’a le repenti de maquiller la réalité, a été médiatiquement réduite à une « rumeur venant des anthroposophes » dont on ne saurait tenir compte, comme le réclame Perra.
Le Monde à la solde d’une secte
Incontesté, le témoignage de Perra apparaît de surcroît comme l’incontournable référence sur une anthroposophie et des écoles Steiner devenues emblématiques du problème des dérives sectaires en France. En témoigne l’émission de Public Sénat diffusée en 2023, à la suite des assises consacrées à ces dérives. Un débat dont les participants sont la secrétaire d’Etat Sonia Backès, Jean-Loup Adénor, le journaliste Thomas Huchon et Elisabeth Feytit, soit quatre soutiens de Grégoire Perra. Il est lui-même le seul intervenant du reportage introduisant l’émission, dans lequel il affirme que les professeurs de l’école de Verrières-le-Buisson y auraient laissé se produire des exactions entre élèves. Un reportage à charge ne laissant aucune place au contradictoire face à de graves accusations, mais dont la diffusion constitue, selon Jean-Loup Adénor, « un grand progrès » dans le traitement journalistique de ces écoles.
Dans ce concert de reprises du témoignage de Grégoire Perra, Le Monde a fait exception avec sa série de cinq articles consacrés à Rudolf Steiner et à la mouvance qu’il a engendrée et inspirée. Réalisée par cinq journalistes du quotidien, cette enquête assez exhaustive n’oublie évidemment pas de traiter des accusations de dérives sectaires. Grégoire Perra a d’ailleurs été longuement interrogé, mais, s’étant retrouvé face à trois de ces journalistes dubitatifs devant son témoignage, après avoir enquêté, il a interdit l’utilisation de ses propos, ce qu’a respecté et mentionné le journal. Le quotidien du soir se contente d’évoquer le fait que Perra se situe « au premier rang des détracteurs » des écoles Steiner, et qu’il a rompu avec l’école de Chatou « après qu’une élève mineure l’a accusé d’attouchements ». Une accusation mentionnée dans un jugement de 2013, mais n’ayant fait l’objet d’aucune plainte, précise le journal. Les faits se trouvent donc brièvement exposés, mais leur évocation est inacceptable pour Grégoire Perra, selon qui les journalistes du Monde se sont livrés à « une apologie de l’anthroposophie » et « ont déshonoré la presse » en étant « à la solde de cette secte ».
Quiconque sait lire peut constater que cette série d’articles n’est pas une apologie, mais plutôt une enquête approfondie sur une mouvance méconnue. Un exercice journalistique que Perra dénonce comme le « point d’orgue » d’une campagne de harcèlement et de diffamation dont il serait victime depuis 2011, consistant ici en un « lynchage médiatique » planifié par les anthroposophes « avec la complicité de plusieurs journalistes et de la direction du quotidien Le Monde ». Un bel exemple de la paranoïa de Grégoire Perra, pour qui tout ce qui peut contredire son discours sur l’anthroposophie relève d’un harcèlement anthroposophe. En l’occurrence, ce seraient plutôt les journalistes du Monde qui ont été harcelés sur Twitter par un Perra qui livrait encore leurs noms à ses fidèles en appelant à ne pas les oublier, un an après la parution de la série. Des journalistes qui refusent aujourd’hui de s’exprimer à ce sujet, redoutant de remettre une pièce dans la machine à trolls de celui qui continue d’épingler sur sa page Twitter le message les accusant d’être « à la solde d’une secte ».
Un conseil de déontologie « au service de l’anthroposophie »
Instance destinée à se prononcer sur le respect des bonnes pratiques journalistiques en réponse aux demandes du public, le Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM) a également eu droit aux réactions plus ou moins virulentes de Grégoire Perra et de ses fidèles sur Twitter, après plusieurs avis critiques sur des reportages ou des articles. Notamment « l’enquête » du 20 h de France 2, dans laquelle Perra soutient que l’on modifierait le contenu des cours dans les écoles Steiner pour tromper les inspecteurs de l’Education nationale. Le CDJM a considéré que France 2 avait enfreint les obligations déontologiques d’exactitude, d’équité et de vérification des faits, ne respectant pas non plus celle imposant de rectifier ses erreurs. L’association des parents et anciens élèves soutenant la pédagogie Steiner-Waldorf, dont le président Nicolas Tavernier avait saisi le CDJM, s’en est félicitée. Cela a suscité l’interpellation du Conseil sur Twitter par Stéphanie de Vanssay, qui l’a invité à réagir face à son instrumentalisation « par une organisation sectaire » en adoptant un autre mode de communication.
Yann Guégan, vice président de CDJM, a répondu qu’il n’existait aucune raison de traiter cette saisine différemment d’une autre. Et Grégoire Perra de rappliquer en l’accusant de « manquer gravement d’un certain sens des responsabilités » pour ne pas avoir changer d’« habitude communicationnelle lorsque les circonstances l’exigent ». Il lui reproche ainsi de travailler normalement sur un sujet concernant l’anthroposophie, comme si une bonne pratique journalistique en cette matière imposait de ne retenir que ce qui irait à l’encontre de la « secte ».
L’information ne lui apparaît convenable que lorsqu’elle relaie son discours à charge, tellement caricatural
« On ne va pas modifier notre analyse de la déontologie journalistique car un reportage porte sur tel ou tel sujet », fait remarquer Yann Guégan, en rappelant que l’objet du CDJM n’est naturellement pas « de prendre position pour ou contre l’anthroposophie et les écoles Steiner ». Depuis deux ans, le CDJM a d’ailleurs émis huit avis concernant leur traitement médiatique, et la moitié des requêtes a été jugé infondée, l’autre partiellement fondée. Loin d’être dans la condamnation systématique, le conseil s’est au contraire montré très indulgent en considérant infondée une requête sur ce sommet de mésinformation que constitue l’émission de Public Sénat où aucun contradictoire n’est apporté aux accusations de Grégoire Perra, tant dans le reportage où il est le seul intervenant que sur le plateau où il ne compte que des partisans. Mais pour Perra, quand le CDJM, « habituellement aux ordres de l’anthroposophie », prend une décision défavorable à ce mouvement, c’est uniquement pour « brouiller les pistes » car son assujettissement deviendrait « trop voyant ».
Une fois de plus complotiste, Perra ne voit dans cette instance qu’un conseil « de la honte », une « institution au service de l’anthroposophie ». « Cela n’a aucun sens et aucun fondement, répond Yann Guégan. Nous n’avons aucun lien avec les écoles Steiner ou l’anthroposophie. » Perra n’en a pas besoin pour porter ses accusations infondées sur le réseau social, après que le conseil a reproché à l’émission de fact checking de France Télévision, « Vrai ou faux », de ne pas avoir fourni une « information essentielle ». En l’occurrence que l’un des intervenants d’un reportage sur la biodynamie, présenté comme un expert présumé impartial, était en fait un militant « notoirement opposée à l’agriculture biodynamique et à l’anthroposophie ». C’est le moins que l’on puisse dire de Cyril Gambari, qui m’a qualifié de « raclure de bidet de l’anthroposophie » parce que je cherchais à ce que Grégoire Perra puisse exercer le principe du contradictoire. Encore une belle marque de respect pour le journalisme, émanant de la tribu d’un Perra pour qui l’information n’apparaît décidément convenable que lorsqu’elle relaie son discours à charge, tellement caricatural. Or c’est quasiment devenu la norme pour ce qui concerne l’anthroposophie et les écoles Steiner. Ce qui est tout de même problématique, et manifeste une vraie faillite de l’esprit critique.
Merci pour votre enquete. J'ai été parent dans une école Steiner en France pendant 8 ans.. ( Je suis amèricaine, et de retour dans mon pays depuis 10 ans- donc pardon les fautes d'orthographe et de grammaire). Aux Etats-Unis les écoles Steiners sont très bien acceptés, respectées et appreciés. Les anciens élèves sont trouvés dans tous les métiers, et plus de 95% font des études superieures ( license, masters, etc.). Si
Mes deux filles ont eu des expériences très positives à l'école Steiner en France. Il en va de même pour les autres enfants dans notre petite école. Je ne comprends pas la détermination de la Milivudes et de la Perra à calomnier et à attaquer ces écoles et cette pédagogie.
J'ai vu les vidéos délirantes que Perra a postées. Par exemple, il y en a une sur la spirale de l'Avent qui est parfois proposé dans les écoles Waldorf avant les vacances de Noël. Perra dit que les enfants sont terrifiés et que c'est un truc de secte ! En quoi une fête de Noël est-elle sectaire? C'est complètement faux. Les enfants adorent les fêtes de fin d'année organisées dans les écoles. Ils sont formidables pour développer la convivialité et marquer les temps forts dans l'année.
Je pourrais dire beaucoup plus, mais je m'arrete la.