Résolutions pragmatiques pour la nouvelle année
A un rythme devenant mensuel en 2025, Raison sensible s’attachera encore à nourrir le débat public malgré l’obscurantisme au pouvoir et une tendance médiatique à cultiver des réalités parallèles.
Raison sensible est de retour en cette nouvelle année que je vous souhaite la meilleure possible dans un contexte tourmenté, avec évidemment avant tout la santé pour vous et vos proches. Celle de votre lettre d’information est, quant à elle, fragile. J’espère donc qu’elle passera l’année et verra la suivante, revigorée par ses lecteurs. Inactive depuis quelques semaines, Raison sensible démarre en tout cas 2025 à un rythme ralenti car je ne peux plus me permettre d’y consacrer la plupart de mon temps, faute d’un nombre d’abonnés payants suffisant. J’ai indiqué en novembre dernier qu’ils devaient être multipliés par dix pour que se poursuive un investissement personnel aussi chronophage, mais les dizaines de nouveaux abonnés rémunérateurs arrivés depuis lors restent loin du compte. Pour assurer une viabilité à cette newsletters, il en faudrait plusieurs centaines de plus.
Dans les mois qui viennent, la périodicité de Raison sensible devrait donc devenir mensuelle. Une nécessité pour me permettre de gagner ma vie ailleurs. Je m’apprête ainsi à prêter ma plume à un scientifique dont les découvertes bouleversent l’histoire de la vie sur Terre depuis une quinzaine d’années. Il est allé au-delà d’un dogme, avec méthode et rigueur, dans une approche multidisciplinaire, et ses travaux ont été publiés dans les plus grandes revues scientifiques. Ce qui rappelle que le dogmatisme et même les paradigmes sont destinés à être scientifiquement déboulonnés. Et que si certains s’emploient à l’empêcher en s’y accrochant comme à d’incontestables idées reçues, la science continue tout de même d’avancer, dépassant les préjugés. Bref, même si les temps sont durs, je vais pouvoir commencer cette année dans la positivité !

Un livre dérangeant
L’année 2024 fut en revanche pour moi marquée par l’obscurantisme au pouvoir. Le livre que j’ai consacré à ce sujet en montre l’étendue dans des domaines scientifiques et médicaux où la pensée dominante parvient à entraver l’avancement de la connaissance. « Ce livre dérange, et c’est tant mieux », a estimé Eric Favereau dans l’une de ses rares recensions. Le journaliste de Libération y porte très justement la question sur le terrain d’un débat public empêché par cet obscurantisme, qu’il perçoit surtout comme du conformisme. Sans s’attarder sur son aspect médiatique, qui témoigne pourtant tout particulièrement d’une absence de débat devenue chronique sur nombre de sujets controversés. Et force est d’ailleurs de constater que mon livre n’a pas suscité le moindre débat. Ni de discussion sur ce manque de contradictoire qui m’a amené à dresser un constat de faillite de l’information scientifique. Seul un ancien directeur de recherche du CNRS, Johan Hoebeke, l’a relevé dans une autre recension publiée sur le site belge Investig’action.
Frédéric Taddeï, lui, fut le premier à m’inviter sur Europe 1 dès la sortie du livre qu’il présenta comme ce qui pourrait être « la bombe de la rentrée ». Il ajouta au cours de l’entretien qu’il avait été tenté de l’évoquer comme « un essai dont on a pas fini de parler ». Avant de se reprendre en précisant qu’il était aussi « très dérangeant », ce qui pourrait au contraire conduire à que personne ne parle d’un livre qu’il jugeait « assez inquiétant mais tout à fait passionnant ». Taddeï a plutôt vu juste, au moins côté mainstream, où Eric Favereau a fait figure d’exception en accordant une longue et assez élogieuse recension à L’Obscurantisme au pouvoir. Si le journaliste de Libé a apprécié d’être dérangé par ce livre, que lui avait recommandé le pharmacologue Bernard Bégaud, ce n’est visiblement pas le cas de la quasi-totalité de ses confrères, qui l’ont ignoré. Et les quelques entretiens que j’ai obtenus étaient plutôt dans des médias alternatifs, dans lesquels j’ai aussi pu constater une propension française à ne pas trop vouloir être dérangé. Donc à ne pas retenir ce qui les concerne pourtant directement dans le dernier chapitre du livre, consacré au filtre médiatique.

La singerie de Christian Perronne
Dans ce chapitre, je note que si les médias alternatifs ont traité de ces sujets controversés que le mainstream occultait ou cantonnait aux rubriques fake news, ils n’ont pas pour autant permis que s’exprime chez eux de la contradiction. Ce qui a conduit à deux réalités parallèles dans une sorte de guerre de l’information, chaque camp avançant son propre narratif et ses experts dont on ne remet pas la parole en question. Lors d’une interview sur le média Tocsin, je l’ai fait remarquer à sa rédactrice en chef, Clémence Houdiakova, en prenant l’exemple de Christian Perronne, interrogé par ses soins, la semaine précédente, dans une émission consacrée à la variole du singe. L’OMS venait alors de déclarer une urgence de santé publique internationale à la suite d’une flambée épidémique en République démocratique du Congo, où sévissait une nouvelle souche du clade 1 de cette variole rebaptisée mpox. Deux ans après qu’une épidémie de son clade 2, c’est-à-dire un autre virus, a touché l’Europe.
A l’antenne de Tocsin, le professeur Perronne avait soutenu, sans faire de distinction entre les deux virus, que tout cela n’était qu’« une grande singerie », derrière laquelle se trouverait Bill Gates. Il discernait déjà la main du cofondateur de Microsoft en 2022, en estimant que l’émergence de cette variole dans différent coins du globe ne pouvait pas être naturelle. J’avais alors consacré au sujet une chronique pour Blast dans laquelle le virologue Etienne Decroly expliquait que rien n’indiquait en fait que ce virus ne soit pas naturel, tandis que sa présence concomitante dans de multiples pays hors d’Afrique s’expliquait par une « chaîne de transmission relativement bien établie » en lien avec des festivals internationaux rassemblant des populations gays, les premières touchées. Deux ans plus tard, rien ne venait davantage étayer l’hypothèse d’un virus lâché volontairement dans le but de créer une pandémie, mais Christian Perronne assura sur Tocsin qu’il était « obligatoire » que le mpox ait été « disséminé volontairement ». Ce à quoi Clémence Houdiakova rétorqua que le professeur affirmait « des choses très importantes et graves », ajoutant qu’ils allaient « prendre le temps de revenir dessus », et donner la parole au sociologue Laurent Muchielli, également présent dans l’émission. Mais ce dernier ne fit aucun commentaire, et Clémence ne revint pas sur cette affirmation si grave, tout sauf prouvée, et plus qu’improbable.

« Enfin quelqu’un qui ose dire ça ! »
J’ai donc pris cet exemple pour montrer que des énormités pouvaient “passer crème” dans les médias alternatifs, sans que ne leur soit apportée de contradiction. J’ai aussi évoqué le cas du statisticien Pierre Chaillot, une référence sur le covid dans la plupart des médias alternatifs pour son analyse des chiffres de la pandémie. Sans que l’on n’y questionne sa théorie selon laquelle il n’existerait pas de propagation virale de SARS-CoV-2, comme d’ailleurs des autres virus. Ce qui revient à remettre en cause l’existence même de ces microbes contagieux, et relève clairement de l’obscurantisme. Ainsi, je notais que l’absence de contradiction conduisait finalement à l’expression de ces deux réalités parallèles dans les médias mainstream et alternatifs, où chacun ne retient que des points de vue qui le conforte dans son positionnement, pro ou anti-système. Clémence Houdiakova semblait en convenir en se disant « tout à fait d’accord avec ma conclusion finale », et à la sortie du plateau, l’un de ses deux adjoints est venu me féliciter chaleureusement. « Enfin quelqu’un qui ose dire ça ! », m’a-t-il lancé, comme un aveu que l’on pouvait laisser les experts estampillés résistants au système raconter n’importe quoi sans les contredire. « Bravo ! Mais vous êtes déjà attaqué sur le chat de l’émission pour avoir critiqué Perronne », ajouta-t-il.
Nous avons discuté quelques minutes durant lesquelles le jeune homme a abondé et évoquer des médias alternatifs où l’on répondrait à la demande d’un public friand d’informations au parfum complotiste plutôt que de nuance ou de contradiction. Les commentaires sous ma vidéo montrent d’ailleurs que mon intervention n’a pas été appréciée. Et la semaine suivante, dans un éditorial répondant aux auditeurs, Clémence Houdiakova a en revanche satisfait son public en annonçant que ce que j’avais déclaré n’était « pas faux mais inexact ». Une subtilité de langage qu’elle justifia par le fait que « l’obscurantisme est d’abord celui d’un système qui a choisi de mentir délibérément à ses citoyens ». Elle prit comme exemple que les campagnes vaccinales anti-covid avaient reposé sur un « pur mensonge » : l’affirmation que le vaccin évitait la transmission du virus. Cela n’a rien à voir avec ce que j’avais dit, mais peu importait à Clémence selon qui, « face à un système qui se plaît à voir marginalisées les consciences éveillées », le contradictoire se faisait finalement en invitant ceux que le mainstream ne veut pas entendre. Quitte à leur laisser dire n’importe quoi, ajouterais-je.

Des débats impossible à organiser ?
Semblant oublier qu’un journaliste qui réalise une interview est censé apporter lui-même une contradiction à son interlocuteur si celui-ci avance des éléments infondés ou manifestement faux, Clémence Houdiokova se défendit par ailleurs du manque de contradictoire sur son plateau en le justifiant par le refus des experts du mainstream de venir débattre avec ses invités marginalisés. Une réalité de plus en plus prégnante depuis la crise du covid, où les positions controversées ont été assimilées à des fake news. Cela s’est accompagné d’une véritable censure dans les réseaux sociaux comme dans les médias mainstream, ce qui a largement contribué au succès des médias alternatifs. Ces derniers se sont fait un devoir d’accueillir les voix dissidentes, les rendant ainsi encore plus sulfureuses et infréquentables pour les experts « officiels » ou jugés convenables dans le mainstream. La marque d’un cercle vicieux informationnel, et d’une fuite en avant dans ces mondes parallèles. Le premier responsable : l’obscurantisme au pouvoir, qui a rejeté de l’espace public commun ceux qui contredisaient une pensée dominante, bien qu’elle puisse être fragile, incertaine, erronée, voire tout simplement mensongère. De quoi alimenter une radicalisation dont Christian Perronne représente une incarnation. Ce qui ne signifie pas que tout ce qu’il déclare est faux et qu’il faille le faire taire en l’excluant du débat public. De même que Pierre Chaillot.
La réalité n’est pas binaire, et Raison sensible essaie de l’appréhender dans sa complexité. Pour cela, le débat est particulièrement approprié. J’ai commencé à en publier à l’automne, et compte persévérer avec ce format cette année, malgré la difficulté croissante à créer un dialogue entre des positions opposées sur des sujets sensibles et clivants. Par exemple la sécurité vaccinale, sujet tabou s’il en est, pour lequel j’avais réussi à réunir le professeur Romain Gherardi, co-auteur d’un livre mis au placard par son éditeur dont je présente des extraits dans L’obscurantisme au pouvoir, et un autre professeur de médecine, immunologiste et expert de la Haute autorité de santé. D’abord réticent, ce dernier avait finalement accepté un débat qu’il considérait essentiel, en réclamant qu’il se fasse par écrit. Un cadre accepté pour que chacun puisse intervenir et argumenter de façon détaillée et documentée, sans être pressé. Mais après une première intervention de Romain Gherardi dans laquelle il expliquait qu’au terme de trois ans de travail sur cette question extrêmement complexe qu’est la sécurité vaccinale, s’était imposée à lui la conclusion que les autorités de régulation ne réalisaient pas le travail que l’on était en droit d’attendre d’elles en matière d’effets indésirables, l’expert de la HAS a disparu, ne répondant pas à son confrère, ni à mes messages. Et abandonnant ce débat qui venait à peine d’être lancé.

Soutenir ce que l’on ne lit pas ailleurs
Raison sensible ne renonce pas pour autant à organiser des débats, y compris sur la sécurité vaccinale. D’autant que l’éditeur de Romain Gherardi est finalement revenu vers lui pour annoncer au professeur un heureux recul de l’obscurantisme. Après ces années de placard, son livre va en effet finalement sortir en 2025. Nous essaierons donc à nouveau d’organiser un débat à cette occasion, et d’autres d’ici là. Un est déjà prévu sur un sujet où les prises de positions peuvent aussi être très tranchées, et le dialogue rare. Mais j’ai obtenu l’accord de deux intervenants de premier plan. « Un duel au sommet ! », m’a déclaré l’un des membres du conseil scientifique de Raison sensible quand je lui ai annoncé leur identité. Et d’ajouter qu’il « rêve d’un tel échange depuis des années ». Vous devriez comme lui pouvoir le lire le mois prochain.
Tant bien que mal, je m’emploierai ainsi à nouveau cette année à proposer un contenu original et ouvert sur la science et la santé. Sans m’interdire des pas de côté comme l’enquête sur Grégoire Perra. Ces révélations sur sa stupéfiante histoire, vous n’auriez pas pu les lire ailleurs. A l’exception notable de Tout Educ, le site d’info des professionnels de l’éducation, aucun média, ni mainstream ni alternatif, n’a d’ailleurs fait état de cette enquête. Elle dévoile pourtant un phénomène de mésinformation massive, impliquant de façon assez accablante la Mission interministérielle de lutte contre les sectes et tous ceux qui ont relayé et soutenu un pseudo-lanceur d’alerte se posant en rempart de la rationalité et de la science face à l’obscurantisme. Raison sensible vous a montré ce qu’il en était réellement, et souhaite continuer à vous apporter une information éclairante, même si son rythme ralentit, faute de moyens. N’hésitez donc pas à la soutenir afin que cette lettre perdure voire retrouve une périodicité plus soutenue. Pour cela, il suffit de prendre un abonnement payant, ou comme membre fondateur pour un montant supérieur de votre choix, et ainsi contribuer en cette nouvelle année à la démarche journalistique d’une raison sensible.