La psychanalyse mise à l’épreuve de la science (2ème partie)
Suite du débat sur l’efficacité des thérapies psychanalytiques entre le chercheur en sciences cognitives Franck Ramus et le psychologue clinicien Thomas Rabeyron. Assiste-t-on à la revanche de Freud ?

La semaine dernière, nous avons laissé Franck Ramus et Thomas Rabeyron alors qu’ils divergeaient sur l’interprétation d’études portant sur la validité scientifique des psychothérapies psychanalytiques et de la psychanalyse. Des études nombreuses qui ont conduit des Anglo-saxons à revoir leur jugement sur l’héritage freudien. Nous retrouvons aujourd’hui nos deux experts pour poursuivre le débat en le reprenant justement sur cette question d’un changement de regard sur l’approche psychanalytique consécutif à son évaluation scientifique. Faut-il y voir une revanche de Freud ?
Les deux intervenants ne sont naturellement pas d’accord sur ce point, tout comme sur la représentativité psychanalytique des psychothérapies dites psychodynamiques et sur leurs preuves d’efficacité. Leur dialogue les amène aussi à se pencher sur l’état lamentable de la psychiatrie française dont le constat ferait presque entre eux consensus. Il n’en va pas du tout de même pour leurs avis sur un concept tel que le complexe d’Œdipe ou leurs visions de l’épistémologie en santé mentale. Franck Ramus et Thomas Rabeyron dissonent également sur l’intérêt d’utiliser les neurosciences pour chercher à observer un comportement du cerveau susceptible de conforter certains énoncés de la psychanalyse. Mais l’ensemble de ces questions, discutées dans cette seconde partie, contribue à rendre particulièrement éclairant ce débat sur l’efficacité de l’approche psychanalytique. Ne serait-ce que parce qu’il permet de mieux appréhender les divergences de points de vue en en dévoilant certains fondements.
Thomas, pourquoi parlez-vous dans votre article d’une « revanche de Freud » ?
Thomas Rabeyron : C’est une expression apparue aux Etats-Unis. Quand les TCC (thérapies comportementales et cognitives) ont émergé, certains de ses partisans ont annoncé faire de la psychologie scientifique en évaluant empiriquement les psychothérapies et en montrant qu’elles étaient efficaces. Il y a eu des milliers d’études et des méta-analyses concernant l’utilisation des TCC auprès de patients présentant des troubles variés. Cela montre qu'elles marchent bien pour la plupart d’entre eux, et certains des tenants de cette approche ont donc pu affirmer à ceux de l’approche psychanalytique : nous avons démontré notre efficacité, nous sommes validés scientifiquement, et pas vous. Mais le narratif est erroné car les méta-analyses ont montré, dès les années 1970, que quand on comparait les approches, les TCC n’étaient pas meilleures. Ainsi, comme Jonathan Shedler le montre très bien, il y a eu toute une campagne pour convaincre l’opinion publique d’une meilleure efficacité des TCC, car les psychothérapies impliquent des enjeux financiers importants. Pour l’autisme, par exemple, un enfant suivi avec certaines approches comportementales, c’est 40 000 euros par an. Ce narratif est donc parti des Etats-Unis, s’étendant ensuite à la France.
Du côté des thérapies psychanalytiques, on a répondu, essentiellement chez les Anglo-saxons, par de nombreuses études empiriques des psychothérapies psychanalytiques (PP) et de la psychanalyse démontrant leur efficacité. Cependant, en France, notamment dans le sillage des positions de Freud, Lacan et Green, un certain nombre d’analystes ont refusé catégoriquement une telle démarche. Et cela pour des raisons épistémologiques entendables, comme le caractère irréductible de la vie psychique à l’observation ou la complexité de se mettre d’accord sur un critère d’efficacité pertinent pour l’ensemble des patients. Néanmoins, des études ont donc été menées à l’étranger, donnant lieu à une métaphore dans la littérature scientifique : la rencontre entre « Bambi-psychanalyse » et « Godzilla-TCC ». Un certain nombre des tenants des TCC étaient persuadés que l’approche empirique allait conduire Godzilla à dévorer une bonne fois pour toute la psychanalyse, considérée comme obsolète et non fondée empiriquement.
Or dès lors que Bambi a joué totalement le jeu de l’évaluation de ses résultats, il a pu montrer l’efficacité des pratiques référencées à la psychanalyse, et, une nouvelle fois, l’effet Dodo (voir première partie), à savoir que les TCC ne font pas mieux que les PP. Mais ensuite Bambi a proposé d’ajouter deux nouvelles règles tenant compte des spécificités de l’approche analytique : évaluer non seulement les symptômes mais aussi les transformations de la personnalité, et cela sur le long cours. On commence à obtenir les résultats de ces études, dont certaines montrent des transformations de la personnalité plus importantes chez les patients suivis par une approche psychanalytique en comparaison d’une thérapie par TCC. Cela rejoint totalement mon expérience clinique. Les TCC sont utiles et intéressantes dans certains cas, mais pour produire des transformations durables de la personnalité « en profondeur », l’approche analytique me paraît souvent plus appropriée.

Or cette approche analytique demeure inspirée par Freud, d’où l’idée de revanche ?
TR : Exactement. La presse anglo-saxonne s’en est fait l’écho ainsi, et même en France on constate un regain d’intérêt à l’égard des approches psychanalytiques.
Pas vraiment. Le dossier de L’Express n’évoquait pas cette revanche de Freud alors que vous parlez d’efficacité démontrée scientifiquement. Franck ne la mentionne pas non plus quand il suggère plutôt de faire sortir la psychanalyse de la psychiatrie. Serait-on en fait passé, en France, à côté de cette revanche de Freud bâtie sur des données scientifiques publiées ?
Fanck Ramus : Thomas nous a sorti le narratif de Bambi, mais je ne suis pas sûr qu’un partisan des TCC raconterait la même histoire. Personnellement, je ne ferai pas le narratif des TCC car je ne suis pas là pour les vendre, juste pour défendre l’approche scientifique. Mais d’abord, cette histoire d’enjeux financiers, c’est vraiment l’hôpital qui se moque de la charité. Car tous les thérapeutes facturent leurs séances, et les psychanalystes avec des montants plus élevés par patient, puisqu’ils imposent des séances plus fréquentes, pendant plus longtemps. Il en est de même pour les prises en charge institutionnelles. C’était d’ailleurs l’un des aspects les plus scandaleux du sort des enfants autistes en France : ils étaient souvent pris en charge en hôpital de jour (au moins 377 € par jour donc on dépasse vite 60 000 €/an) ou en institut médico-éducatif (32 000 €/an), tout ça aux frais de la sécurité sociale, pour des prises en charge psychanalytiques sans efficacité connue ! Et ce alors que scolariser les mêmes enfants avec un accompagnement approprié (ce que demandaient les parents) coûte bien moins cher. Tout cet argent a longtemps financé des postes pour des professionnels très majoritairement affiliés à la psychanalyse. Quand ils luttent pour conserver leurs petits autistes, ils défendent juste leur gagne-pain !
TR : Il faudrait voir dans le détail les prix pratiqués. Je connais des thérapeutes TCC qui demandent des prix bien plus élevés que certains analystes, mais pas d’étude qui montrerait une différence significative des prix demandés entre approches. Quant aux psychothérapies dans le champ de l’autisme dont on a déjà parlé, l’ensemble des études d’évaluation, quelle que soit l’approche, est de qualité assez limitée sur le plan empirique. En revanche, il existe de nombreuses études de cas des processus psychothérapiques dans le champ de l’autisme, qui me semblent tout à fait convaincantes concernant les principes des PP auprès des enfants.
FR : J'ai également déjà dit ce que je pensais des études de cas. Là, je trouve un peu ironique d’évoquer une revanche de Freud dans la mesure où il n’en reste rien. C’est-à-dire que la plupart des concepts ou des processus spécifiquement psychanalytiques ont été enlevés des PP. Je n’y vois nulle part que l’on s’intéresse à savoir si le complexe d’Œdipe des patients a bien été résolu. Ni que l’on interprète leurs stades psycho-sexuels pour savoir s’ils en sont restés au stade anal ou oral. Personne ne parle de ça dans les thérapies psychodynamiques. Tout ce qui est spécifiquement freudien ou lacanien a disparu. Ces thérapies s’appuient principalement sur « les facteurs communs » et sur des éléments tirés des TCC, et c’est de là qu’elles tirent leur potentielle efficacité. Mais ça n’a pas grand-chose à voir avec ce que rencontre un patient français qui se rend chez un psychanalyste dont on va analyser les problèmes à l’aide de calembours lacaniens, ou un enfant autiste à qui on propose de travailler sa « contenance » dans une pataugeoire ou dans des draps humides et glacés.

Le transfert et l’association d’idées libre sur lesquels se basent les PP, ce n’est pas typique de la psychanalyse créée par Freud ?
FR : Si. Mais j’attends de voir des preuves convaincantes que l’association d’idées jouerait le moindre rôle. Ce qui est clair, c’est que ça donne du grain à moudre aux gens qui veulent faire des interprétations. Mais à quoi servent-elles ? Quel est leur bien fondé et quel rôle ont-elles sur l’état du patient ? Je demande à voir.
TR : Il existe pourtant des centaines de publications concernant l’association libre et ses principes en psychothérapie psychanalytique et en psychanalyse. Cela montre d'ailleurs bien que le dossier de L’Express ne visait pas à proposer une vue objective étayée sur des données scientifiques, ce qui interroge tout de même concernant la qualité du travail journalistique, car ces données sont faciles à trouver sur internet. Concernant le fait que les pratiques analytiques d’aujourd’hui sont différentes de celles de Freud, oui bien sûr. De la même manière que la biologie évolutionniste d’aujourd’hui est différente des travaux de Darwin. Mais les principes fondamentaux des psychothérapies psychanalytiques sont les mêmes que ceux de la psychanalyse, ou plutôt des psychanalyses, car il existe plusieurs manières de pratiquer la psychanalyse selon les courants théoriques.
FR : La psychanalyse « classique » est quand même celle qui est enseignée à la fac de psycho en France.
TR : Il faudrait préciser de quels enseignements vous parlez.
FR : C’est aussi ce que rencontrent les patients en cabinet.
TR : Si on commence à parler de ce que disent les patients des autres psys... Ils ont toujours quelque chose à raconter, qu’il soit d’orientation psychanalytique ou TCC. Qu’est-ce que j’ai pu entendre sur les autres thérapeutes de manière générale ! Il y a aussi ce que disent les étudiants et ce que font les enseignants. Normalement, on n’enseigne pas la psychanalyse telle qu’elle était pratiquée à l’époque de Freud et plus généralement l’université ne forme pas des analystes. Elle peut en revanche transmettre aux étudiants un modèle de compréhension de l’esprit tel que le propose la psychanalyse, et je pense que celui-ci est pertinent dans le champ du soin psychique.
La psychanalyse me dérange dès qu’elle a des prétentions thérapeutiques pour soigner des troubles. Quand on prétend soigner les gens, il faut le prouver.
F. Ramus
Donc de soins relevant du domaine de la psychiatrie, ce qui ne concerne pas vraiment une personne qui consulte pendant des années un psychanalyste pour réfléchir au sens de sa vie ou à ses relations avec autrui dans une optique plus proche du développement personnel que du traitement d’une maladie. Mais ce qui vous dérange, Franck, c’est uniquement la présence de la psychanalyse en psychiatrie ?
FR: En psychiatrie ou en psychologie, ce qui me dérange avec la psychanalyse, c’est dès qu’elle a des prétentions thérapeutiques pour soigner des troubles. Que les gens aient envie d’aller parler à qui ils veulent ne me pose aucun problème. Un psychanalyste, un curé ou quelqu’un d’autre, peu importe. Mais quand une approche prétend soigner les gens, il faut le prouver, et déjà ne pas dégrader leur état et leur faire perdre des chances d’accéder à un traitement efficace. Or on constate en France beaucoup de problèmes de très mauvaise prise en charge d’enfants avec des troubles neuro-développementaux ou d’adultes avec des dépressions ou des troubles anxieux. Il faut améliorer l’offre de soin en psychothérapie.
T.R. : Ce besoin existe, nous sommes d’accord, mais je ne pense pas que le problème soit l’approche analytique car elle est validée empiriquement. Je ne connais pas d’étude qui montrerait un problème concernant la prise en charge des enfants ayant des troubles neurodéveloppementaux du fait de cette approche. Pour étayer un tel point de vue, il faudrait, par exemple, la comparer à une autre approche et montrer que cette dernière est plus efficace. Mais de telles études n’existent pas.
Les thérapies d’inspirations psychanalytiques amènent en revanche des données qui semblent montrer une efficacité aussi bonne voire meilleure que d’autres plus reconnues…
FR : Non, les thérapies psychanalytiques les plus répandues en France n’ont aucune efficacité connue, et les autres thérapies n’y sont pas plus reconnues. Si vous cherchez un thérapeute TCC, vous allez ramer pendant des semaines, des mois et vous n’en trouverez peut-être même jamais, selon où vous habitez. Vous trouvez principalement des gens qui font une forme de psychanalyse freudienne ou lacanienne, certainement modernisée, mais basée sur les bons vieux concepts fondateurs. Plusieurs personnes m’ont rapporté récemment être aller voir un psy qui leur a dit : « Vous avez mal au genou, c’est un problème de couple. Parce que le je, le nous. » Voilà ce que l’on entend encore aujourd’hui.
TR : Les thérapies psychanalytiques utilisées en France sont pourtant les mêmes que celles évaluées par les études empiriques. Et les principes fondateurs critiqués par Franck se trouvent au cœur de ces psychothérapies. Concernant la difficulté de trouver des TCC, dans la plupart des villes de France, on prend facilement un rendez-vous sur doctolib auprès d’un praticien, et de nombreuses universités forment des cliniciens à cette approche. Quant au « Je-Nous », réduire l’approche psychanalytique à ce type de jeu de mots est caricatural. Il faudrait ici entrer dans le détail des théories psychanalytiques et de leur manière de considérer le langage. Ce genre d’anecdotes ne fait pas avancer le débat.
FR : J’ai pourtant entendu la même anecdote plusieurs fois, de personnes indépendantes. Il ne manque d’ailleurs pas de textes psychanalytiques français récents discutant cette symbolique genou-je-nous. Ce n’est donc pas étonnant que ça inspire nombre de thérapeutes.
Je crains que les débats idéologiques viennent gommer le problème de fond : on ne peut plus soigner les gens comme il faut en France.
T. Rabeyron
TR : Cette symbolique, comme d’autres, repose sur l’idée que certaines associations sur le plan verbal peuvent rendre compte de conflits psychiques inconscients. Il existe de nombreux travaux sur ce sujet, mais ce n’est pas l’objet de notre débat. Plus généralement, vous ne pouvez pas considérer qu’un cas clinique constitue une anecdote et ensuite soutenir votre point de vue par un témoignage. Il faudrait, par exemple, des données qui montrent qu’il y a tel pourcentage de psys de telle orientation. Je ne le sais pas moi-même, ce sont des données difficiles à obtenir. Mais ce qui m’ennuie avec ce genre de débat, que l’on retrouve souvent dans la presse, c’est que cela évite de parler des vrais problèmes, qui renvoient au naufrage de la psychiatrie en France, et plus généralement au fait que l’hôpital public est en train de mourir.
Pour les enfants autistes et leurs familles, le problème n’est pas tant de savoir s’ils vont avoir une thérapie psychanalytique ou une TCC, mais surtout que l’on n’a pas les moyens de les accompagner convenablement dans de nombreux lieux de soin. Pour les dépressions, c’est pareil. Des patients arrivent au CMP (centre médico-psychologique) et on leur dit : « Désolé, vous n’êtes pas assez malade, allez en libéral. » Voilà les vrais problèmes à l’heure actuelle. Et je crains que les débats idéologiques autour de la question des psychothérapies viennent gommer le problème de fond : on ne peut plus soigner les gens comme il faut et la France a beaucoup de retard par rapport à d’autres pays. Je trouve d’ailleurs que l’on ne s’appuie pas assez sur les données issues de la littérature scientifique. Par exemple, vous avez ce dispositif changeant tout le temps de nom – « mon soutien psy » - qui propose des psychothérapies avec seulement quelques séances. Or, la littérature montre clairement qu’il faut souvent plusieurs dizaines d’entretiens pour pouvoir aider les patients sur le plan psychopathologique. Il faudrait s’appuyer sur des panels d’experts au courant des dernières avancées de la recherche pour proposer des prises en charges cohérentes et les soutenir par des moyens adaptés. Nous en sommes loin.
FR : Je suis d’accord sur l’état lamentable de la psychiatrie, mais pas sur le fait que cela ne serait qu’un problème de moyens. Il est incontestable, mais faut-il consacrer plus de moyens pour faire n’importe quoi ? Non. A l’époque du débat sur l’autisme, Bernard Golse pointait déjà le manque de moyens à l’hôpital, mais ce serait absurde d’en attribuer plus pour faire du Bernard Golse. A moyens donnés égaux, la qualité des soins offerts est cruciale. Bien sûr que ce que propose « mon soutien psy » n’est pas cohérent, ou alors pour des gens ayant des problèmes très légers ou passagers, mais ce qui me choque n’est pas uniquement le nombre de séances remboursées. C’est aussi l’absence totale de contrôle sur la nature et la formation des psychologues.

TR : Concernant Bernard Golse, il faudrait voir dans le détail ce que vous lui reprochez, mais il a fait beaucoup pour aider les enfants et les adolescents, notamment dans le champ de l’autisme, comme en témoignent ses publications. Sur le manque de rigueur et de contrôle dans la formation des cliniciens intervenant dans « mon soutien psy », nous sommes d’accord. A ce propos, nous donnons le titre de psychothérapeute aux psychiatres et aux psychologues cliniciens qui sortent de l’université. Or la psychothérapie est une activité très complexe. Il faut une formation longue et avoir également fait soi-même une psychothérapie. Des études le montrent, et il me paraît également aussi important de connaître la méthodologie des études de cas que d’être formé à la compréhension des données empiriques. C’est tout un processus. Mais en France, vous sortez de la fac et vous voilà psychothérapeute, comme par magie.
FR : Je suis d’accord, il faudrait un véritable internat adossé à la formation en psychologie pour fournir à tous les cliniciens une formation solide en psychothérapie. En revanche, l’idée qu’il faille soi-même suivre une thérapie pour être thérapeute est propre à la psychanalyse et n’a pas de sens dans les autres approches. Un thérapeute n’a pas forcément un problème psychologique à soigner !
T.R : Pourtant, il existe des études montrant que les cliniciens ayant eux-mêmes réalisé un travail personnel sont habituellement de meilleurs psychothérapeutes, ce qui explique que des pays, comme la Suisse, exigent dans certaines formations pour devenir psychothérapeute ce travail personnel. Un principe qui fut effectivement défendu d’emblée par l’approche analytique.
Tout ne se réduit pas aux facteurs communs et à l’alliance thérapeutique. Des facteurs spécifiques jouent aussi.
F. Ramus
Un psychiatre chercheur à l’INSERM m’a dit que les différents types de psychothérapies pouvaient être efficaces et qu’il existait aujourd’hui un relatif consensus sur le fait que le principal facteur d’efficacité était l’alliance thérapeutique entre le patient et son thérapeute. D’où l’importance primordiale de la formation de ce dernier, quel que soit le type de thérapie pratiquée.
TR : Vous décrivez l’effet Dodo dont je parlais, même si ce n’est pas la même chose de faire une PP ou une TCC.
FR : Que la formation et l’expérience soient importantes, c’est évident. Qu’il existe des facteurs communs qui comptent également, certainement. Mais tout ne se réduit pas à cela et à l’alliance thérapeutique. Des facteurs spécifiques jouent aussi. Par exemple sur les phobies, les TCC ont démontré la meilleure efficacité sur un trouble très particulier avec des protocoles d’exposition progressifs aux stimuli provoquant la phobie, où l’on observe une désensibilisation progressive. Je ne sais pas si les thérapeutes psychodynamiques font aussi de la désensibilisation, mais s’ils en font, c’est de la TCC. Et s’ils ne le font pas, je doute qu’ils aient les mêmes résultats pour une phobie.
TR : Je ne connais pas d’étude randomisée ayant comparé les PP et les TCC qui aurait montré une plus grande efficacité de ces dernières sur les phobies. Généralement, ce type de comparaison des approches n'en montre pas, mais il faut regarder dans le détail ce que font les cliniciens et un bon thérapeute sent intuitivement ce qui va aider son patient. Quelle que soit son orientation, il peut ainsi être amené à mettre en places des techniques issues de plusieurs approches.
FR : On est d’accord que ce n’est pas du tout de la psychanalyse ?
L’idée qu’il faudrait être uniquement dans une approche me paraît aujourd'hui dépassée.
T. Rabeyron
TR : En psychanalyse, il n’y a pas un manuel opératoire à suivre. On essaie de faire du « sur-mesure » pour chaque patient. Bien sûr que de la désensibilisation avec des araignées in situ, ce n’est pas l’ADN théorique de la psychanalyse. Mais l’idée qu’il faudrait être uniquement dans une approche me paraît aujourd'hui dépassée et certaines thérapies mélangent TCC et PP, comme les thérapies cognitivo-analytiques. En outre, aux Etats-Unis, dans un certain nombre de PsyD (formation doctorale pour devenir psychologue clinicien), il faut être formé au minimum à deux approches psychothérapiques. Personnellement, dans ma pratique, ce qui m’intéresse est d’aider les gens et je prends ce qui est bon à prendre. Donc si ce qui aide un enfant autiste, c’est de l’envelopper, je le fais. Si un patient est très gêné par une phobie dans son quotidien, je tente quelques séances de désensibilisation.
Néanmoins, il me paraît problématique de traiter des phobies sans avoir une compréhension de leur fonction psychique. Il est important de se poser la question de la fonction homéostatique du symptôme, c’est-à-dire comment il permet de maintenir l’équilibre psychique du patient. Par exemple, il est évident qu’avec des enfants autistes, si l’on aborde une stéréotypie de manière comportementale sans interroger sa fonction, cela peut s’avérer catastrophique car la stéréotypie maintient parfois l’homéostasie du patient. Pour d’autres enfants, une approche comportementale sera plus appropriée. C’est au cas par cas.
FR : Vous dites qu’en psychanalyse il n’y a pas de manuel à suivre, ce qui est vrai. En revanche, les thérapies psychodynamiques qui ont fait l’objet d’évaluations, elles, ont un manuel, largement épuré des concepts historiques de la psychanalyse. Ce qui conforte mon affirmation selon laquelle elles sont vraiment de nature différente de la psychanalyse qu’on connait en France. D’ailleurs, sur la notion de fonction, ce que vous dites est vraiment comportemental, car tout comportement a une fonction, et c’est évidemment important de comprendre la fonction du comportement.
TR : Exactement. C’est pour ça que cette opposition dans les approches est dépassée.
FR : Mais qu’entendez-vous par fonction psychique ?
TR : En l’occurrence, j’insiste sur la fonction psychique inconsciente. Pourquoi les gens ont-ils des phobies ? L’une des hypothèses de la psychanalyse est que certaines phobies traduisent un conflit psychique inconscient. Pour les traiter, il faudra aider le patient à élaborer, à symboliser, à intégrer ce conflit. Pour autant, nous ne nous trouvons pas dans une relation de causalité car, de la même manière que l’on ne sait pas pourquoi une personne est comme elle est, on ne peut guère déduire de causalité directe entre la psychothérapie et la réduction des symptômes du patient. Mais il faut bien avoir une théorie du soin avec l’idée que celle-ci produit des effets. Chaque thérapeute en développe ainsi une distincte, articulée à une ou plusieurs approches psychothérapiques.
FR : C’est là que la psychanalyse postule beaucoup de choses discutables. Les TCC s’embarrassent de beaucoup moins de couches de théorie, elles s’appuient juste sur les connaissances actuelles en psychologie. C’est ça qui pourrait être discuté plus à fond. Quand on dit qu’il y a un conflit psychique inconscient, quelle en est la preuve ? Et pourquoi ce conflit-ci et pas celui-là ? C’est juste de l’interprétation de ce que dit le patient, mais on n’a jamais le critère de preuve pour savoir si une interprétation est juste ou pas.
Si ce n’est pas prouvable, c’est une hypothèse non réfutable, et dans ce cas ce n’est pas de la science mais de la fiction.
F. Ramus
Est-ce possible d’obtenir des preuves du complexe d’Œdipe ou de ce genre d’idées ? Certains éléments ne sont-ils pas impossibles à prouver ?
FR : Alors pourquoi raconter des fariboles si ce n’est pas vrai ?
Plutôt un point de vue, une hypothèse, une conviction, une idée qui n’est pas forcément prouvable. Tout n’est pas prouvable...
FR : Quand les auteurs en psychanalyse parlent de complexe d’Œdipe, ils affirment une causalité, contrairement à ce que dit Thomas. Tous les écrits psychanalytiques débordent de prétentions d’expliquer la cause des troubles psychiques, et plus généralement la vie mentale. Ils disent que si le complexe d’Œdipe est bien ou mal résolu, ça a tel ou tel effet psychologique et ça peut augmenter le risque de tel ou tel trouble. C’est donc une hypothèse causale qui doit se prouver, ou alors il vaut mieux se taire.
Mais est-ce prouvable ?
FR : Si ce n’est pas prouvable, c’est une hypothèse non réfutable, et dans ce cas ce n’est pas de la science mais de la fiction. On ne peut pas dire que c’est une explication si ce n’est pas réfutable.
TR : On tombe à nouveau sur des problèmes d’épistémologie. Comment démontre-t-on un fait ? Selon moi, le critère de réfutabilité n’est pas suffisant. Vous vous appuyez ici sur une épistémologie, notamment celle de Popper, qui me semble largement dépassée. Elle est intéressante, et a un certain degré de pertinence, mais je ne crois pas que les avancées scientifiques se réalisent uniquement selon le critère de réfutabilité. C’est beaucoup plus complexe, comme l’ont montré les travaux sur le critère de démarcation et en particulier ceux de Kuhn, Lakatos, Feyerabend et Laudan.
FR : Je maintiens que le critère de réfutabilité est essentiel. Car si on ne l’applique pas, on peut dire n’importe quoi. Par exemple, ma théorie, c’est que tous les troubles mentaux sont causés par des extra-terrestres qui communiquent avec les humains par télépathie et implantent des pensées dans leurs esprits, ce qui provoque parfois les symptômes des troubles. La physique n’a pas encore réussi à détecter les signaux avec lesquels les extra-terrestres communiquent avec les humains, donc on ne peut pas le prouver, mais « la science ne sait pas tout ». Elle le trouvera peut-être un jour. En tout cas c’est ma théorie, elle n’est pas réfutable, mais elle est au moins aussi bien appuyée empiriquement que celle du complexe d’Œdipe. Donc comment fait-on pour trancher entre les deux, et entre toutes les autres théories non réfutables qu’on peut imaginer ? Déconnectées du monde réel, elles ne servent à rien, n’ont aucun pouvoir explicatif.
Mais si quelqu’un qui a cette théorie développe une thérapie et qu’il obtient de bons résultats sur ses patients phobiques ou dépressifs ? Si l’on se place dans une optique de soin, n’est-ce pas accessoire de considérer que c’est basé sur une théorie farfelue non prouvée et même non prouvable ?
FR : Bien sûr, s’il arrive à prouver en bonne et due forme que sa thérapie soigne les gens, très bien. Gardons la thérapie, mais comme la théorie sur laquelle elle est basée est non réfutable et donc incapable d’expliquer réellement son effet, on va devoir mener de nouvelles recherches pour comprendre pourquoi ça fonctionne. En laissant tomber l’enrobage théorique complètement déconnant et en créant éventuellement une nouvelle théorie mieux étayée empiriquement.
Est-ce ce qui se fait avec la psychodynamique ?
FR : De toute évidence, une bonne partie de l’enrobage théorique déconnant de la psychanalyse a déjà été éliminé de l’approche psychodynamique. Mais est-ce accompagné d’efforts pour bâtir une théorie plus solide ou sont-ils juste dans une démarche pragmatique d’adopter des pratiques efficaces tout en essayant de sauvegarder les apparences freudiennes ? Je ne sais pas.
Ce que vous décrivez de la causalité en psychanalyse, c’est Freud et les années 1920. Cent ans ont passé et on ne fait plus la même chose.
T. Rabeyron
TR : Si je puis me permettre, j’ai le sentiment que Franck ne connaît pas la psychanalyse. Il est très probablement un bon chercheur dans son domaine, mais pour autant il n’est pas psychologue clinicien et ne mène pas des psychothérapies.
FR : Je ne suis pas du tout un spécialiste de la psychanalyse et n’ai aucun problème à le dire. En revanche, je suis un chercheur actif sur les causes des troubles mentaux, capable de lire les essais cliniques sur les psychothérapies. C’est depuis cette position que je suis en mesure de dire que la psychanalyse n’apporte rien, ni pour expliquer les causes des troubles mentaux, ni pour les soigner efficacement.
TR : Je ne comprends pas comment vous pouvez maintenir une telle position alors qu’il existe plus de 5 000 études empiriques et 300 essais randomisés évaluant les psychothérapies psychanalytiques. Vous expliquez ne pas être un spécialiste de la psychanalyse mais estimez pouvoir en parler car vous êtes capable de lire des articles scientifiques. Or de toute évidence, vous découvrez les publications sur ce sujet. C’est tout de même un problème de se positionner sur une littérature que l’on ne connaît pas bien. Dans le domaine des troubles neurodéveloppementaux, des gens peuvent affirmer n’importe quoi quand ils ne connaissent pas le sujet. Sur la psychanalyse, c’est un peu la même chose. Vous devriez lire des manuels récents, et vous vous rendriez compte que votre représentation renvoyant à un complexe d’Œdipe « raté » est largement dépassée. Ce que vous décrivez de la causalité en psychanalyse, c’est Freud et les années 1920. Cent ans ont passé et on ne fait plus la même chose.
J’aurais une deuxième remarque sur le plan épistémologique. On parle ici de questions traitées essentiellement à travers le filtre des sciences humaines et ce n’est pas la même épistémologie. Je sais qu’il existe une tentation des neurosciences et de la psychologie empirique de dire : « Il n’y a que nous qui sommes scientifiques ! » J’ai une position très différente et pense qu’il existe une pluralité de scientificités, ce qui est la position majoritaire en épistémologie actuellement, me semble-t-il. Ceci dit, quand j’étais étudiant de licence, le complexe d’Œdipe me laissait tout de même perplexe. J’ai ensuite commencé à faire des stages en pédopsychiatrie et là, cet étrange Œdipe, je le voyais concrètement dans les consultations. Des enfants le montraient et me parlaient effectivement de fantasmes œdipiens. Un exemple classique est la tentative de certains de dormir avec leurs parents (ou l’inverse). Toute la clinique de l’inceste témoigne également du fait qu’il s’agit d’un interdit essentiel pour la construction psychique d’un enfant.
Voir des fantasmes œdipiens dans ce que vous disent des enfants, c’est du biais de confirmation. Vous avez appris à reconnaître ces choses, donc vous les voyez partout.
F. Ramus
FR : Cela ne sert à rien de répéter en boucle « j’ai 5 000 études à l’appui de ce que j’affirme », tant que l’on n’examine pas chacune de ces études en détail pour voir ce qu’elle montre vraiment. Ce que j’ai déjà fait avec celle de Leuzinger-Bohleber, avec une interprétation bien différente de la vôtre. Mais on manque de temps pour toutes les examiner ici. Du coup, vous croiront ceux qui veulent bien vous croire. Quant à voir des fantasmes œdipiens dans ce que vous disent des enfants, c’est du biais de confirmation. Vous avez appris à reconnaître ces choses, donc vous les voyez partout.
TR : Il en est de même pour tout travail interprétatif, quelle que soit l’orientation, et je pense que le complexe d’Œdipe ne saurait être réduit à un biais de confirmation.
FR : Si vous aviez appris à interpréter ce que disent les patients comme étant le reflet des pensées qui leur ont été implantées par les extra-terrestres, vous le verriez partout aussi.
TR : C’est là qu’en psychologie clinique on va présenter un cas et proposer une certaine lecture. Un même cas peut être interprété de plusieurs manières et c’est justement la richesse de ces interprétations différentes qui est importante, raison pour laquelle on travaille encore à partir de cas classiques de Freud. On les enrichit de nouvelles lectures. Ainsi, on confronte les points de vue et les données cliniques, en regardant ce que cela change dans le process thérapeutique en fonction des hypothèses existantes. C’est un processus de démonstration différent du critère de réfutabilité. Dire qu’une telle approche n’est pas pertinente me paraît indéfendable sur le plan épistémologique et surtout non respectueux d’autres manières de penser.
FR : Comment arrivez-vous à conclure que l’hypothèse sur les extraterrestres n’est pas bonne alors que celle du complexe d’Œdipe pourrait l’être ?
TR : Parce qu’il existe des éléments cliniques observables directement, des redondances dans le discours des patients. Très concrètement, pour l’Œdipe, des enfants qui expriment le désir de dormir avec leur parent ou qui aimeraient exclure l’un des deux parents.
FR : Plein d’enfants peuvent le dire, mais pourquoi l’interpréter comme un complexe d’Œdipe ? C’est juste un fait, une préférence.
TR : Vous pouvez l’interpréter autrement, tant que vous l’argumentez de manière précise et rigoureuse. Nous allons alors partir de la clinique et discuter de telle ou telle hypothèse en fonction d’un faisceau d’indices cliniques. Si je reprends votre hypothèse des extra-terrestres, il faudrait alors apporter des éléments qui étayent une telle hypothèse.
FR : Le problème, c’est que ce ne sont pas des indices cliniques factuels qui étayent les hypothèses psychanalytiques, mais les interprétations que les psychanalystes font des observations cliniques, à l’aide de leur théorie ! Un garçon qui veut dormir avec sa mère, ça pourrait être un besoin anodin de réconfort, mais comme le psychanalyste l’interprète comme reflétant le complexe d’Œdipe, alors c’est pris comme une donnée étayant sa théorie ! Et quand c’est une fille qui veut dormir avec sa mère, on va juste l’ignorer plutôt que de conclure que ça réfute la théorie. C’est complètement circulaire parce qu’il est nécessaire d’adhérer à la théorie pour en voir des confirmations. Ce qui rend les hypothèses psychanalytiques non réfutables.
Pour donner un exemple encore plus absurde, quand Françoise Dolto dit qu’un enfant dyslexique a du mal à lire parce que le mot lire évoque le « lit » parental et donc (forcément) le coït des parents, elle énonce une hypothèse qui ne s’appuie sur aucune observation. Ni confirmable, ni réfutable. C’est juste son imagination, et on est prié de la croire sur parole ! Du coup, il n’y a ni plus ni moins de raison de croire la théorie du complexe d’Œdipe mal résolu que celles du lit parental ou de la télépathie extraterrestre. Ce sont toutes des hypothèses non réfutables dont on ne peut rien dire. En revanche, quand on y croit, on peut en voir des confirmations partout, puisqu’il suffit d’interpréter ce qu’on voit dans ce sens ! Au contraire, dans la psychologie clinique scientifique, les hypothèses sur la nature des troubles font des prédictions réfutables : si la cause d’un trouble de la lecture est un déficit phonologique, alors ça prédit que l’enfant aura de faibles performances dans un test de conscience phonologique. Une hypothèse testable, que les observations pourront confirmer ou réfuter. C’est comme ça qu’on construit des explications valides en psychologie, comme dans toutes les sciences.
Rejeter d’emblée un autre positionnement épistémologique relève de l’empirisme naïf, voire du scientisme et d’une méconnaissance de ce qu’est réellement l’activité scientifique.
T. Rabeyron
TR : Nous retombons toujours sur le même problème d’épistémologie, et, de manière sous-jacente, aux croyances de chacun concernant ce qu’est la réalité et la manière de l’appréhender. Une hypothèse psychanalytique est issue d’une observation clinique et il ne s’agit pas de croire sur parole tel ou tel psychanalyste. Il s’agit pour le clinicien, dans sa pratique, de déterminer comment tel ou tel concept est utile pour comprendre ses patients et les accompagner dans le travail psychothérapique. On ne peut réduire un tel travail à un raisonnement circulaire sous prétexte que cela ne relève pas du critère de réfutabilité. Rejeter d’emblée un autre positionnement épistémologique relève selon moi de l’empirisme naïf, voire du scientisme et d’une méconnaissance de ce qu’est réellement l’activité scientifique. L’un des problèmes bien connu de ce type de positionnement provient du fait que le critère de réfutabilité repose sur des critères non réfutables, ce qui de fait montre le manque de cohérence de l’empirisme naïf. Sur ce sujet, il faut consulter les nombreux débats entre épistémologues concernant la nature de la psychanalyse, en particulier aux Etats-Unis depuis les travaux de Grünbaum.
FR : « Le critère de réfutabilité repose sur des critères non réfutables », c’est un joli jeu de mots, mais c’est faux. Le critère de réfutabilité n’est qu’un critère que l’on choisit d’appliquer ou pas. Mais l’adopter repose sur l’hypothèse que si on ne l’applique pas, on n’a aucun moyen empirique de départager les hypothèses non réfutables. Du coup on peut être conduit à accepter toutes les hypothèses les plus absurdes (et leur contraire), comme ma théorie de la télépathie extraterrestre. Ceci est parfaitement prouvée par la facilité d'imaginer des hypothèses non réfutables absurdes que l'on n’a aucune raison de croire et l’impossibilité de prouver qu'elles sont fausses. De fait, personne n’a encore réussi à me démontrer que ma théorie de la télépathie extraterrestre était plus fausse que celle du complexe d’Œdipe.
Thomas, vous avez évoqué la question des neurosciences. En quoi tendraient-elles à confirmer certaines hypothèses ou théories psychanalytiques ?
TR : Je pense qu’on ne peut pas « démontrer » la psychanalyse par les neurosciences, il s’agit de deux champs épistémologiques différents. On peut cependant tenter d’opérationnaliser certaines hypothèses psychanalytiques, comme le proposent notamment Eric Kandel, prix Nobel de médecine, et Marc Solms. D’autres auteurs comme Damasio ou Panksepp ont également proposé des parallèles entre neurosciences et psychanalyse. D’ailleurs, si Franck était prêt à changer un peu ses positions, il serait le bienvenu pour développer un tel dialogue entre disciplines. Il serait, par exemple, intéressant de confronter approches psychanalytiques et cognitives des troubles neurodéveloppementaux.
Mais qu’a-t-on trouvé au niveau neuronal qui conforterait des hypothèses psychanalytiques ?
TR : Plein de choses. Par exemple la théorie des rêves de Solms laisse à penser que les hypothèses freudiennes étaient très en avance sur leur temps. Plus généralement, des centaines de travaux soulignent des convergences entre les résultats des neurosciences contemporaines et certaines hypothèses de la métapsychologie psychanalytique. Ce n’est pas surprenant car la psychanalyse part toujours de l’expérience clinique, c’est une science « empirique » au sens où l’on fait des déductions à partir d’observations. On peut ne pas être d’accord sur les hypothèses et les déductions qui en découlent, mais il existe des données cliniques, aujourd’hui confortées par tout un ensemble de travaux en neurosciences cognitives. Notamment sur l’association libre et le transfert.
Tout ce corpus neuro-psychanalytique, ce ne sont que des analogies. On ne prouve jamais rien, donc ce n’est que de la poudre aux yeux.
F. Ramus
FR : J’ai publié une critique des travaux que cite Thomas, et je suis d’accord avec la première phrase qu’il a dite : les neurosciences ne peuvent pas confirmer quoi que ce soit dans la psychanalyse, comme dans la psychologie en général. Cela implique que ce que racontent les neuropsychanalystes est à côté de la plaque. On se situe à deux niveaux différents. Quand on regarde les choses au niveau psychologique, on parle de traitement de l’information ou d’états mentaux. Au niveau neuronal, on voit du substrat biologique. Evidemment, tout le monde est convaincu que ce substrat est le support matériel de la pensée et de la psychologie, mais dans les neurosciences cognitives qui sont vraiment l’intégration de la psychologie et des neurosciences, personne ne s’en sert pour dire que l’imagerie cérébrale a prouvé tel concept psychologique. Elle ne pourra jamais le faire. On s’en sert uniquement pour dire qu’une fois que l’on a établi un concept psychologique de manière solide et robuste, confirmé par les données empiriques avec une bonne compréhension de comment cela fonctionne dans l’esprit, alors on peut essayer de voir à l’IRM quelles sont les bases cérébrales de ce mécanisme psychologique. Dans ce cas, on a une description à deux niveaux du mécanisme. Mais cela suppose d’avoir un concept psychologique bien valide au départ.
Avec la neuro-psychanalyse, si on part de concepts dont la validité n’est initialement pas assurée, on peut toujours essayer de rapprocher ça de telle donnée issue des neurosciences, mais cela ne donne rien du tout. On met des gens dans l’IRM en les faisant rêver et on fait de la neuro-imagerie du rêve, que l’on va rapprocher de la psychanalyse des rêves, sans qu’il n’y ait en fait aucun lien substantiel. La seule chose commune est le mot rêve, mais cela ne dit absolument rien sur leur interprétation freudienne. Donc tout ce corpus neuro-psychanalytique, ce ne sont que des analogies. On met côte à côte les concepts freudiens et les résultats des neurosciences, et on dit : ça pourrait parler de la même chose. Mais on ne prouve jamais rien, donc ce n’est que de la poudre aux yeux. Une tentative de sauver la psychanalyse en lui donnant un air un peu moderne.
TR : Le travail d’analogie fait partie de l’activité scientifique et peut ensuite permettre d’aller vers des hypothèses testables dans certains cas, ce que font des chercheurs en neuropsychanalyse, notamment sur les rêves. On peut ainsi « scientificiser », au sens de rendre réfutable, certains énoncés de la psychanalyse, et comme on utilise alors des méthodologies empiriques, vous devriez plutôt être d’accord avec une telle approche.
FR : Je suis tout à fait pour préciser les énoncés psychanalytiques et les tester empiriquement, mais on le fera mieux avec des expériences et des observations comportementales ou des analyses du discours. Pas en regardant dans le cerveau.
TR : Cela se discute, mais pourquoi pas. J’en profite pour vous poser une question sur l’autisme et les troubles neurodéveloppementaux. On les présente souvent comme résultant de sortes de « bug » dans le cerveau. Or un ensemble d’études montre que la construction du cerveau passe notamment par la relation aux figures d’attachement. Ceci me semble étayer certaines hypothèses psychanalytiques selon lesquelles une part du fonctionnement psychique, et donc de celui du cerveau, se construit dans les premiers temps de la vie. Or le triptyque « génétique, cerveau, comportement » ne tient pas compte de cela. N’y-t-il donc pas de la place ici pour un dialogue entre neurosciences et psychanalyse ? Comment considérez-vous l’autisme à cet égard ? Imaginez-vous que la construction du cerveau est influencée par les rencontres avec les figures d’attachement ?
FR : Je n’ai rien contre la théorie de l’attachement et le fait que cela participe à la construction de l’individu et de sa psychologie, donc de certains aspects de son cerveau. Mais cela explique-t-il quoi que ce soit à la causalité de l’autisme ? Je n’ai pas vu de données convaincantes là-dessus, mais ça pourrait évoluer. Dans l’autisme, on a une héritabilité telle qu’il reste relativement peu de place pour des facteurs environnementaux. Il en existe quand même, bien entendu, et on en connaît certains plutôt de l’ordre du biologique précoce, notamment des expositions prénatales à des toxiques ou à des infections. De même les bases cérébrales connues de l’autisme semblent plutôt trouver leur origine dans le développement cérébral prénatal. Mais je n’exclus pas que des facteurs relationnels puissent moduler les prédispositions génétiques et aient un effet sur les symptômes. Simplement, je n’ai vu aucune preuve de ça.
Les discours du type « c’est la faute de la psychanalyse » permettent de trouver un bouc émissaire.
T. Rabeyron
Pourquoi dites-vous que la psychanalyse se situe dans le déni des troubles neurodéveloppementaux ?
FR : La psychanalyse elle-même, je ne sais pas, mais certains professionnels qui s’y réfèrent refusent de manière persistante de poser des diagnostics de troubles neurodéveloppementaux et les retardent au maximum en proposant d’autres interprétations des symptômes. Ce qui produit des catastrophes, car les diagnostics et les prises en charge se font de manière beaucoup trop tardive. Ce n’est pas forcément une position intrinsèquement psychanalytique, mais comme la psychanalyse offre un autre cadre interprétatif des mêmes symptômes, cela conduit des cliniciens à ne pas établir les diagnostics.
Pour des troubles tels que celui du déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) ?
FR : TDAH, autisme, mais aussi troubles des apprentissages. Je suis surtout spécialiste de la dyslexie. Combien de familles m’ont rapporté que leur enfant avait été vu au CMPP (centre médico-psycho-pédagogique) pendant des semaines, des mois, parfois des années, sans qu’ils sachent ce qu’il faisait avec la psychologue, et sans que l’enfant n’ait jamais été diagnostiqué et sa lecture rééduquée ? Je dispose de centaines de témoignages, on est au-delà de l’anecdote. Donc un certain nombre de professionnels, guidés par la psychanalyse, ne font pas les diagnostics mais autre chose. Une perte de chance pour l’enfant.
TR : On ne peut pas faire de lien de causalité entre psychanalyse et problème de diagnostic. Le diagnostic est complexe en psychopathologie de l’enfant. Il faut voir au cas par cas. Ce que je vois actuellement, c’est surtout une inflation des bilans. Des enfants qui reçoivent énormément de bilans sans que cela ne conduise réellement à des accompagnements adaptés au long cours, car les équipes ne disposent plus des moyens de travailler convenablement.
FR : Non, c’est vraiment un problème de psychanalyse. Dans tous ces CMPP, sauf quelques exceptions, on voit la caricature du lacanisme du développement de l’enfant. C’est terrible.
TR : Vous avez des éléments qui étayent une telle affirmation ?
FR : Des centaines de témoignages.
TR : Personnellement, j’ai des échanges réguliers avec de nombreux collègues qui travaillent dans des CMPP et dont le problème au quotidien n’est pas la psychanalyse. Plutôt le manque de moyens et des recommandations administratives non pertinentes. Mais les discours du type « c’est la faute de la psychanalyse » permettent de trouver un bouc émissaire qui donne l’impression à certains patients et leurs familles que le problème viendrait de là. Or notamment pour l’autisme, le problème n’est pas la psychanalyse mais bien ce manque de moyens, avec des parents qui en arrivent à envoyer leurs enfants en Suisse ou en Belgique pour qu’ils soient soignés convenablement.
Certes, si l’on veut entrer dans les critiques en fonction des approches, il y aurait beaucoup à dire, par exemple sur les approches TCC utilisées dans les plateformes de réhabilitation en psychiatrie. Là aussi, qu’est-ce qu’on n’entend pas de la part des équipes sur ce sujet ! Donc je ne suis pas sensible à ce type d’arguments, qui me semblent avant tout idéologiques et parcellaires. Il faudrait pour étayer de telles affirmations montrer qu’effectivement les CMPP dans lesquels l’orientation psychanalytique est prévalente soignent moins bien les enfants, mais de telles données n’existent pas à ma connaissance. Et elles contrediraient les résultats menés dans le champ de l’évaluation des psychothérapies qui montrent l’équivalence des approches.
Il faut des moyens supplémentaires, mais pour faire quoi ? Si c’est pour toujours plus interpréter les dessins de l’enfant, ils pourraient être mieux employés.
F. Ramus
FR : Je suis en contact direct avec des centaines de familles qui me disent des choses très similaires. Comme j’étais ennuyé que ces témoignages verbaux ou par message écrit privé soient perdus, j’ai invité ceux qui le souhaitaient à écrire leur témoignage en commentaire de mon blog. On peut donc y lire un échantillon.
TR : Une nouvelle fois, je connais bien les CMPP et peux vous dire que ce n’est pas le problème rapporté par les collègues que je connais.
FR : Ils ne le perçoivent peut-être pas de leur point de vue lacanien...
TR : Déduire des choses à partir de témoignages de manière non représentative ne peut que conduire à des positions idéologiques. Les problèmes de fond n’ont rien à voir avec la psychanalyse, qu’elle soit lacanienne ou d’une autre orientation. En l’occurrence, les collègues sont avant tout des cliniciens qui essayent de faire leur travail convenablement et n’en ont pas les moyens. Les files actives sont beaucoup trop importantes, le temps insuffisant pour mener des psychothérapies, il n’y a pas de places dans les structures d’accueil, les soignants sont en burn-out… On essaye en particulier de transformer les CMPP en plateformes de bilan, mais qui va s’occuper ensuite des enfants ? Qui va mener les suivis ? Une collègue résumait récemment les choses par cette formule qui rend bien compte de la situation : « Le soin ne répond pas. »
FR : Donc selon vous, tous les cliniciens sont bons et se valent, leur orientation théorique n’a aucune importance, et s’il y a des problèmes c’est toujours par manque de moyens. Il faut des moyens supplémentaires, mais pour faire quoi ? Si c’est pour toujours plus interpréter les dessins de l’enfant, je pense qu’ils pourraient être mieux employés. A commencer par mieux former beaucoup de professionnels…
TR : Une nouvelle fois, de tels discours sont selon moi idéologiques. Je sais qu'on les entend dans les couloirs des ministères, mais encore faudrait-il des éléments tangibles pour les étayer.
FR : Je connais, moi aussi, des gens qui travaillent dans des CMPP. Ce qu’ils décrivent de leurs collègues et des pratiques en vigueur concorde avec les témoignages des familles. Par exemple, les réunions de staff dans lesquelles on discute pendant des heures des défauts des mères des enfants trop possessives (ou pas assez) ou qui n’ont pas assez désiré leur enfant (ou trop), des « enfants-phallus », de celui qui a dessiné sa maison ou sa famille trop comme ci ou pas assez comme ça, et de ce que ça révèle de terrible, etc. Pendant ce temps aucun bilan psychologique ou orthophonique avec des outils valides n’est effectué, aucune prise en charge efficace n’est jamais mise en place.
On ne peut pas critiquer l’ensemble des pratiques analytiques sous prétexte que tel ou tel clinicien ferait des choses inappropriées.
T. Rabeyron
TR : Si l’on cherche à clouer ainsi au pilori telle ou telle approche, on n’en finit pas ! Je pourrais aussi vous parler des dérives des approches comportementales aux Etats-Unis qui conduisent à l’utilisation de chocs électriques, et réduire l’ensemble de ces approches à cela. Mais ce ne serait pas correct.
FR : Mais non, il faut arrêter avec ça. Cela n’existe plus depuis longtemps.
TR : Des reportages dénoncent pourtant de telles pratiques, filmées et diffusées sur internet. Cela fait scandale aux Etats-Unis depuis une dizaine années et des familles, ainsi que d’anciens patients, tentent de faire interdire les approches comportementales dans le champ de l’autisme. Mais est-ce que pour autant toute l’approche comportementale correspond à ces dérives ? Non, et on ne peut pas réduire ABA au fait que dans certaines institutions aux Etats-Unis on électrise des enfants lors de thérapies comportementales. De même, on ne peut pas critiquer l’ensemble des pratiques analytiques sous prétexte que tel ou tel clinicien ferait des choses inappropriées.
FR : Merci pour l'information, je pensais que ces méthodes avaient totalement disparu. Mais d’après l’article que vous communiquez, elles auraient encore cours dans un seul centre dans tous les USA. Donc quand bien même on voudrait monter cela en épingle, ce serait légèrement abusif ! A contrario, je maintiens que les témoignages de familles et de professionnels sur les CMPP et certains CMP en France sont très convergents, et cela ne semble s’améliorer qu’à vitesse d’escargot. On pourrait évidemment faire bien plus de choses au niveau clinique et dans la recherche, mais tout réduire à un manque de moyens, c’est dire que finalement le contenu n’est pas très important, qu’il suffit de donner de l’argent. Une manière d’embrouiller le politique en lui disant de ne pas s’occuper de nos affaires. Et ce que vous dites du CMPP ne me rassure pas particulièrement.
Vous décrivez un truc œcuménique où chaque clinicien a son orientation et élabore son diagnostic avec son approche. Ensuite on propose une thérapie avec un peu de tout. Cela n’a pas l’air très cohérent, sachant que l’on ne peut pas tout faire à la fois dans le traitement des enfants. Si on le saupoudre en travaillant des tas de trucs en parallèle, en fait, rien n’avance. Il faut définir des priorités, et pas mettre un peu de psychomotricité, un peu d’orthophonie, un peu de psychanalyse... Des choix sont à faire car les journées de l’enfant n’ont que 24 heures. C’est donc important de faire les bons en ciblant ce qui est pour lui prioritaire, avec des approches efficaces. Or rien ne prouve que cette approche œcuménique dite « intégrative » ait la moindre efficacité. Cela permet à chacun de sauver son petit pré carré, mais ce n’est pas une manière rationnelle de faire du soin efficace.
TR : Sur cette question du soin intégratif, nous sommes en total désaccord. Je pense au contraire que ce qui aide la plupart des enfants, notamment dans un CMPP, résulte d’un travail d’équipe interdisciplinaire. Non pas pour faire du saupoudrage, mais pour permettre à chaque enfant d’avoir un soin adapté à ses besoins en fonction des compétences de chaque professionnel. A cet égard, nos expériences et nos compétences diffèrent. Je m’exprime ici essentiellement en tant que clinicien.
FR : Laisser entendre que je ne peux pas comprendre car je ne suis pas clinicien n’est pas un bon argument. Si un clinicien peut expliquer clairement et montrer des données convaincantes, j’arriverai bien à comprendre.
TR : Il existe une expérience concrète issue de la rencontre avec les patients. Je pense que la vision que l’on peut avoir de ces problèmes quand on travaille uniquement dans un laboratoire de recherche est très éloignée des situations rencontrées par les cliniciens au quotidien, notamment quand il s’agit d’accompagner un enfant autiste. Ainsi, je ne pense pas qu’un chercheur soit plus compétent qu’un clinicien pour déterminer ce qui est le plus cohérent. Au contraire, les cliniciens savent souvent bien mieux « ce qui marche ». D’ailleurs, votre critique d’un soin intégratif montre que votre point de vue est très éloigné de ce qui se fait au quotidien dans un CMPP. L’immense majorité des cliniciens serait sans doute en désaccord avec vous.
Vous avez l’air de considérer que les cliniciens sont les mieux placés pour savoir ce qui marche. Mais des siècles d’expérience montrent qu’ils se leurrent la plupart du temps.
F. Ramus
FR : Vous donnez une vision très caricaturale de ce qu’est la recherche. Je ne travaille pas sur une paillasse avec des prélèvements biologiques. Cela fait 25 ans que je mène des recherches sur les troubles neurodéveloppementaux, et cela se fait avec les patients. Donc « la rencontre avec les patients », j’en ai moi aussi une longue expérience. En plus de mes nombreux contacts avec les personnes concernées dans les associations que je conseille. Et ce même si je n’ai bien sûr aucune compétence ni aucune prétention à les soigner ou à les accompagner. Mais vous avez l’air de considérer que les cliniciens sont les mieux placés pour savoir ce qui marche.
TR : Souvent, oui, et rencontrer des patients dans le cadre de recherches est très différent du fait de le faire dans le cadre d'un suivi.
FR : On dispose de siècles voire de millénaires d’expérience qui montrent que les cliniciens se leurrent la plupart du temps.
TR : Cela arrive aussi, car les cliniciens ne sont pas omniscients pour autant.
FR : La saignée, on a traîné ça pendant des milliers d’années parce que des médecins qui la pratiquaient croyaient que ça améliorait l’état de leurs patients. Une croyance qui s’est transmise à des générations de médecins. Aujourd’hui, on a toujours les mêmes biais cognitifs, et les cliniciens font des choses sur leur terrain et croient que ça marche. Mais ils se plantent très régulièrement. Donc on ne peut pas juste dire : venez sur le terrain, je suis clinicien et je vois que ça marche. C’est précisément parce que les cliniciens se leurrent facilement et qu’ils ne sont pas en position d’évaluer rigoureusement les effets causaux de leurs actions que l’on a inventé la méthode expérimentale.
TR : Il faut tenir compte des études empiriques, mais aussi des études de cas et des éléments qui proviennent de l’expérience quotidienne des cliniciens afin de mieux comprendre la nature des processus en jeu lors d’une psychothérapie. Je ne comprends pas l’intérêt d’opposer les approches et de déterminer que telle manière de penser serait plus appropriée qu’une autre.
FR : Évidemment car tout part du terrain et ce sont les observations du clinicien qui permettent d’élaborer les hypothèses que l’on va ensuite tester autrement. Mais on ne peut pas juste en rester à la clinique.
TR : Tout à fait. Et je crois que nous ne sommes finalement pas tant en désaccord sur ce point.
FR : Oui, nous avons clairement des points d’accords, comme des désaccords persistants.
Rho… la légende urbaine du « je-nous »… à chaque fois que je l’ai entendue, c’était pour dénigrer la psychanalyse !
Cela dit, ce débat, —et merci de le proposer !— est fortement présent dans l’université de psychologie où j’étudie. Une prof de psychanalyse nous a d’ailleurs recommandé l’article de M. Rabeyron sur l’évaluation des psychothérapies (en réponse aux critiques dont elle a fait l’objet).
Dès la L3, nous devons choisir une orientation pour la suite de notre cursus. Quel dilemme !
Déjà familiarisée avec les approches psychodynamiques, je tente depuis peu une TCC pour moi-même. Je me dis qu’à défaut de consensus scientifique, la conviction personnelle ou plus simplement l’affinité personnelle avec telle ou telle approche peut jouer beaucoup dans la qualité de prise en charge de la future clinicienne que j’aspire à être. J’ai encore quelques mois avant de faire ce choix d’orientation que j’espère le plus éclairé possible. Votre publication y participe, merci.
1) Concernant la transformation de la personnalité « en profondeur » par la psychanalyse : il s’agit d’un conditionnement au (très) long cours ,qui aboutit à faire des croyants, des disciples (freudiens, jungien, lacanien, ferenczien, etc.).
2) Les associations libres permettent n’importe quelles interprétations. Avec tous les mots, images et concepts qu’énoncent les analysés, l’analyste peut faire des associations selon une voie tantôt courte tantôt longue. Il peut tout mettre en rapport avec tout. Cette associabilité accommodante permet d’aboutir immanquablement à une construction qui a du sens et à la théorie du psychanalyste… freudien, néo-freudien, jungien, adlérien, lacanien, etc.
3) Sur l’affirmation « les cliniciens ayant eux-mêmes réalisé un travail personnel sont habituellement de meilleurs psychothérapeutes » : ce n’est pas évident, car les thérapies « didactiques » sont des entreprises de « formation » qui aboutissent à un conditionnement à la théorie . Voir :
https://blogs.mediapart.fr/jacques-van-rillaer/blog/220818/la-psychanalyse-didactique-purification-ou-conditionnement
4) Sur l’affirmation : « certaines phobies traduisent un conflit psychique inconscient ». En tant que comportementaliste (ex-psychanalyste) j’ai traité des centaines de phobies sans avoir besoin de découvrir comme Freud ans le cas du Petit Hans que sa peur des chevaux provenait du complexe d’Œdipe, le cheval symbolisant le père castrateur du petit garçon ayant des désirs soi-disant « incestueux ». Sur ce cas :
https://blogs.mediapart.fr/jacques-van-rillaer/blog/270518/le-petit-hans-le-phobique-exemplaire-selon-freud-et-les-freudiens-1
Quand je travaillait dans un Centre de psychologie clinique d’orientation freudo-lacanienne, un mes collègues a exposé triomphalement le cas d’une « phobie des examens » en disant que c’était une « phobie des sex-à-mains ». J’ignore si la cliente n’a plus eu peur des examens ou si, comme la célèbre Dora, elle a fui les interprétations grotesques.
5) Sur le critère de démarcation et son idée de départ chez Popper :
https://blogs.mediapart.fr/jacques-van-rillaer/blog/180217/karl-popper-un-celebre-deconverti-de-la-psychanalyse
6) Sur l’argument « j’ai le sentiment que Franck ne connaît pas la psychanalyse », je puis rassurer sur cette connaissance dans mon cas : analyse didactique, thèse de doctorat sur Freud et pratique de la psychanalyse pendant près de 10 ans. Bilan après quelques années de plus et mon passage aux TCC :
https://blogs.mediapart.fr/jacques-van-rillaer/blog/201121/les-desillusions-de-la-psychanalyse-2021
7) Concernant les études qui prouvent l’efficacité de la psychanalyse. La psychanalyse de Freud a débuté avec un scandaleux mensonge sur l’efficacité de la cure d’Anna O. Voir :
https://blogs.mediapart.fr/jacques-van-rillaer/blog/110718/anna-o-le-cas-paradigmatique-de-la-psychanalyse
Freud n’a pas hésité à continue à mentir sur ses résultats et même à inventer des cas. Avec le temps, la pauvreté des résultats étant devenue publique, Freud a reconnu le manque d’efficacité de sa méthode. Voir :
http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article2367
http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article2412
C’est la raisons pour laquelle il s’est limité à faire des didactiques durant les 20 dernières de sa vie.
Les travestissements de la vérité sont d’autant plus tentants et fréquents qu’il est question du gagne-pain, de son poste d’enseignant à l’université, de défendre sa foi ou de se glorifier !!
8) Le complexe d’Œdipe pour Freud ce n’est pas simplement « le désir de dormir avec leur parent ou aimeraient exclure l’un des deux parents ». Ce qu’écrivait Freud :
«https://blogs.mediapart.fr/jacques-van-rillaer/blog/240117/le-complexe-d-oedipe-1-version-populaire-et-version-freudienne
9) Sur l’affirmation « les hypothèses freudiennes sur le rêve étaient très en avance sur leur temps » : Freud a repris la conception de Griesinger (milieu du 19e s.) sur le rêve comme réalisation d’un désir et il l’a arbitrairement généralisée. Pour des détails :
https://www.pseudo-sciences.org/Les-interpretations-des-reves-sont-elles-valides-et-utiles