Covid long, Lyme chronique et syndromes post-infectieux : un problème de santé mentale ? (1ère partie)
Honnie par les associations de patients, l’hypothèse de causes psychologiques est soutenue par le psychiatre Cédric Lemogne et dénoncée par l’immunologiste Alain Trautmann. Place au débat, sans tabou.

Le sujet est sensible, et même « super tabou », d’après le professeur Eric Caumes. Dans un éditorial de la Revue de l’internat des hôpitaux de Paris où ce dernier officia en 2022 comme rédacteur en chef d’un numéro dédié aux maladies infectieuses, il estimait pourtant qu’ « une énorme partie de la médecine » était concernée par un type de pathologie représentant « environ un tiers des consultations, même spécialisées, en médecine de ville ». Des maux méconnus, donc mal diagnostiqués, que l’infectiologue qualifiait de troubles somatiques fonctionnels (TSF). Autrement dit des maladies psychosomatiques, parmi lesquelles la plus évoquée ces dernières années serait le Covid long. Cette forme prolongée du Covid dont France Culture rappelait encore dernièrement que l’« origine est floue », pour ne pas dire incomprise, face aux résultats d’une nouvelle étude dont l’auteur avouait ne pas avoir trouvé grand-chose.
Le professeur Cédric Lemogne pense, lui, que les patients Covid long qu’il traite à l’Hôtel-Dieu souffrent en fait de TSF, au moins pour une grande part d’entre eux. Un diagnostic que ce psychiatre partage notamment avec la professeure de médecine interne Brigitte Ranque qui a co-signé avec lui nombre d’articles sur ce sujet. Il est néanmoins réfuté en bloc par les associations de patients, qui peuvent percevoir comme offensant de se voir attribuer un trouble relevant de la santé mentale. Ce refus d’un diagnostic dérangeant s’exprime également chez nombre de personnes souffrant d’une forme dite chronique ou longue de la maladie de Lyme, l’infection provoquée par la bactérie Borrelia burgdorferi. Cédric Lemogne y discerne aussi des facteurs psychologiques suggérant une nature psychosomatique, comme pour d’autres syndromes post-infectieux (SPI) dont les patients sont souvent victimes d’une fatigue chronique, entre autres symptômes.
Les spécialistes du Covid long refusent le débat
Désireux d’aborder ce sujet sous la forme du débat, j’ai cherché depuis des mois un contradicteur à Cédric Lemogne, en m’adressant à des spécialistes du Covid long qui rejettent l’hypothèse psychosomatique, comme l’a fait le Comité de veille et d’anticipations des risques sanitaires (COVARS) dans son avis de novembre 2023. Mais tous ont refusé de débattre de ce sujet, comme s’il était hors de propos et manquait de respect aux malades. De quoi conforter l’idée d’un tabou difficilement acceptable en médecine, d’autant que Cédric Lemogne contribue à la connaissance scientifique du Covid long et des SPI à travers des publications étayant son hypothèse. Il a commencé à s’intéresser à la question des TSF alors qu’il exerçait comme psychiatre de liaison dans des services où il se voyait adresser des malades qui déconcertaient les autres médecins. La raison ? Ces patients présentaient des symptômes souvent très invalidant alors que leurs analyses et examens ne laissaient apparaître aucun problème.
Alain Trautmann a, pour sa part, fait sa carrière au CNRS où cet immunologiste a dirigé des recherches sur l’utilisation du système immunitaire dans la lutte contre le cancer. Peu après sa retraite, il s’est retrouvé confronté à la maladie de Lyme au sein de sa famille. Cela l’a conduit à devenir un membre très actif et le président du comité scientifique de la Fédération française des maladies vectorielle à tiques (FFMVT), l’arthropode de la famille des acariens qui propage la bactérie Borrelia et infecte l’homme par ses morsures. Alain Trautmann confie avoir découvert dans cette fédération « une interaction systématique entre patients, médecins et chercheurs, chacun venant avec son expertise propre ». Il travaille depuis lors à la compréhension de la forme chronique de Lyme, mais aussi d’autres SPI comme le Covid long ou le toujours inexpliqué syndrome de fatigue chronique (SFC). Ce chercheur dénonce la théorie psychosomatique qu’il juge catastrophique, et vient de publier une revue de littérature développant sa propre hypothèse à l’origine de ces syndromes énigmatiques. Sans exclure une part psychologique, mais en suivant en premier lieu les pistes biologiques et immunitaires.
Alain Trautmann a accepté de débattre avec Cédric Lemogne de l’origine de ces SPI, question délicate qu’il considère très importante et trop peu abordée. Une discussion dans laquelle chacun des intervenants s’appuie principalement sur cinq articles scientifiques pour accréditer des points de vue divergents. Ce qui permet de s’en tenir précisément aux faits et à la connaissance déjà acquise.

Pourriez-vous commencer par m’expliquer votre position sur cette problématique des SPI et de la part que pourraient y jouer des troubles psychosomatiques ?
Cédric Lemogne : Je n’utilise jamais le terme psychosomatique, sauf pour qualifier une discipline, la médecine psychosomatique. Ce mot est imprécis car son sens peut changer. Pour les patients, cela signifie souvent imaginaire. Or la médecine psychosomatique cherche à établir des liens de causalité entre des facteurs psychologiques et la santé physique. Par exemple, l'impact du stress sur la survenue d'un événement coronarien, comme un infarctus du myocarde. En l’occurrence, ce facteur psychologique s’ajoute à d’autres facteurs de risque biologiques classiques comme le tabac ou l'obésité. Et comme pour les autres, traiter ce facteur avec une thérapie de gestion du stress et des émotions améliore la mortalité cardiaque des patients souffrant d’une maladie coronarienne. En revanche, contrairement aux idées reçues, les facteurs psychologiques ne jouent pas dans la survenue des cancers. En tout cas, aucune commune mesure avec leur rôle dans les maladies cardio-vasculaires. On peut ainsi dire que les cancers ne sont pas une maladie à composante psychosomatique. Et même si une psychothérapie est efficace pour soulager la dépression de patients atteints de cancer, elle ne modifie pas le pronostic de ce dernier.
Le phénomène de persistance des symptômes s’observe dans la plupart des maladies ; nous n’avons donc pas été étonnés de voir arriver des patients après un Covid.
C. Lemogne
Le cas des syndromes post-infectieux s’avère un peu différent, car des doutes subsistent chez une partie de la communauté médicale, dont je suis, sur leur caractère organique, lésionnel. Au moins pour une partie substantielle des patients. A l’Hôtel-Dieu, nous en voyons beaucoup dont les symptômes ont désarçonné les médecins, en raison par exemple d’une difficulté à respirer ou de douleurs articulaires qui ne semblent pas explicables par des lésions des organes ou du système que ces symptômes désignent. Notamment une dyspnée sans anomalies du système cardiaque ou respiratoire, ni anémie. On se trouve donc là dans un autre champ, celui des troubles somatiques fonctionnels. Fonctionnels parce que pas lésionnels. Un exemple très connu est la fibromyalgie, maladie caractérisée par des douleurs diffuses bien réelles mais non attribuables à des anomalies des muscles ou des articulations, plutôt à la façon dont le système nerveux central traite ces informations. Ce type de symptômes fait souvent suite à une infection, mais dans les faits, toutes les maladies peuvent donner des symptômes persistants en dépit de leur guérison biologique. On peut citer le cas de troubles fonctionnels intestinaux persistant malgré la rémission d’une maladie inflammatoire chronique des intestins ou encore un syndrome d’hyperventilation pouvant persister entre deux exacerbations d’une maladie asthmatique. Et puisque ce phénomène se voit dans la plupart des maladies, nous n’avons pas été étonnés de voir arriver des patients souffrant de symptômes prolongés après un Covid. Selon cette approche, les SPI s’inscrivent dans cette catégorie plus large des symptômes physiques persistants, dans lesquels interviennent certains mécanismes d'ordre psychologique. C’est du moins la thèse que je défends, comme d’autres.
Alain Trautmann : Dans ma revue sur les SPI (nda : un résumé en français est disponible ici), je me suis focalisé sur trois d'entre eux - le Lyme long, le Covid long et le SFC -, en partant d'un paradoxe. Comment se fait-il que des pathologies provoquées par des pathogènes différents aboutissent à des symptômes extrêmement proches ? Et pourquoi les patients peuvent présenter des tableaux cliniques très hétéroclites ? Certains connaissent des formes vraiment sévères qui vont durer des années, tandis que d'autres, beaucoup plus légères, se résorbent toutes seules. Une hétérogénéité qui se manifeste au sein de chacun de ces SPI. Ces interrogations m'ont conduit à la conviction qu'il existe un élément absolument fondamental : le terrain individuel, pré-existant à l’infection. Le mystère des SPI ne se trouve ainsi pas dans l’action du virus SARS-CoV-2 ou de la bactérie Borrelia, mais dans les particularités d’une minorité de personnes susceptibles de développer ces syndromes.
Il faut prendre en compte non seulement le stress mais aussi toute la biologie. Et les prédispositions initiales, comme les mécanismes déclenchés par l’infection.
A. Trautmann
J'ai donc cherché les facteurs de risque ou les éléments du terrain susceptibles d’entretenir une relation causale avec un déclenchement, et il en existe un grand nombre. Une propension à l'allergie ou à des maladies auto-immunes, une tendance au stress, le fait d’avoir subi un traumatisme physique ou psychique, entre autres. Chaque élément peut constituer ce que j'ai appelé des building blocks, des blocs dont l’ensemble aboutit à construire le syndrome. Ils relèvent de deux natures distinctes : des prédispositions initiales et des mécanismes déclenchés par l'infection. Ce sont en général des boucles auto-entretenues. Par exemple, une neuroinflammation qui, une fois déclenchée, peut perdurer, impliquant notamment dans le cerveau des cellules qui produisent des cytokines (nda : substances sécrétées par les cellules du système immunitaires) qui vont elles-mêmes activer ces cellules. Cela déclenche un cercle vicieux, et si, en plus, la barrière hémato-encéphalique est altérée et que des cytokines inflammatoires ou des toxines entrent dans le cerveau, une propension à entretenir l'inflammation va se conjuguer à un apport périphérique. Les SPI différents, présentés par les patients, résultent ainsi de l’assemblage de plusieurs building blocks. Et vu que les profils (les terrains) des individus atteints sont très hétérogènes, on observe une grande variabilité dans ces syndromes, mais avec des mécanismes communs susceptibles de les déclencher et de les entretenir.
Ce qui vous amène à réfuter l’idée qu’il puisse s’agir de TSF ?
AT : Oui, car si l’un des facteurs que je décris peut s’apparenter à une cicatrice psychologique, un autre sera la persistance du pathogène, par exemple. Or certains médecins considèrent que seule cette persistance explique la maladie longue de Lyme, et qu’il faut bourrer le patient d'antibiotiques. Les tenants de la théorie des TSF considèrent une autre explication, psychologique. Mais pour moi, c'est l’assemblage des blocs qui explique la maladie, et ceux qui défendent l’idée d’une cause unique se trompent. L’un des tenant de la thèse psychosomatique, Pascal Cathébras, a même soutenu qu’il ne fallait pas considérer la dimension biologique. Il dissuade ainsi de réaliser des sérologies ou des tests permettant de savoir si des pathogènes latents sont réactivés ou non. Ils le sont pourtant la plupart du temps, et cette réactivation fréquente entraîne sans doute des conséquences importantes. Mais lui considère que découvrir des anomalies (qualifiées d’incidentalomes) biologiques risque d’accroître la confusion et l'inquiétude, donc il conseille de ne pas les chercher. Une erreur majeure, car il faut prendre en compte non seulement le stress mais aussi toute la biologie.
Pour certaines infections, l’évolution vers des symptômes persistants dépend en partie de votre personnalité.
C. Lemogne
On va essayer de le faire en se basant sur la connaissance actuelle. Pour cela, vous avez chacun proposé cinq articles soutenant votre point de vue. Cédric, vous commencez avec une publication sur la contribution des facteurs psychologiques et psychosociaux sur la sévérité et la durée des maladies infectieuses. Que nous apprend-t-il ?
CL : Cette étude montre que des facteurs d'ordre psychologique comme le névrosisme - propension à éprouver des émotions négatives – sont associés à un risque accru de SPI. Sans exclure les autres facteurs, cela invite à prendre en compte ces facteurs psychologiques dans l'origine de ces SPI, ici en interaction avec le facteur biologique déclenchant que constitue l'infection.
Quelle que soit l’infection ?
CL : Oui, cet article le traite de façon générique mais cela peut aussi bien concerner la maladie de Lyme, une gastro-entérite, un épisode de Covid long, etc. Ce type de papier rappelle ainsi que pour certaines infections, l’évolution vers des symptômes persistants dépend en partie de votre personnalité. Un élément très important en faveur de la participation de mécanismes psychologiques.
AL : Ce n'est pas n'importe quelle infection. Les maladies virales infantiles (rougeole, coqueluche) ne déclenchent pas de SPI pour une raison que j’ignore. L'immense majorité de ces syndromes est par ailleurs post-viral, la plupart des infections bactériennes n'en provoquant pas, sauf Borrelia pour le Lyme long. Pour revenir à l’article proposé par Cédric, il provient de l'équipe de l’excellente psychiatre Uté Vollmer-Conna qui dispose d’une culture immense en immunologie et cherche des liens entre le stress et les marqueurs inflammatoires. Je ne vois rien à redire à ce papier, qui montre également que les gens désavantagés au niveau socio-économique connaissent des symptômes plus graves. Dans un autre article, Uté Vollmer-Conna remarque que l’on trouve que chez ces mêmes personnes un taux détectable d'interleukine 6 (IL6), une cytokine inflammatoire normalement quasi absente chez la plupart des gens, sauf chez les personnes âgées, qui présentent fréquemment des syndromes inflammatoires.
CL : l'IL6 est aussi un biomarqueur de dépression assez commun. Plus élevé chez les patients dépressifs.
AT : Je le montre dans ma revue en discutant du lien entre inflammation et dépression.
Une des choses dont les malades se plaignent le plus, c'est le malaise post-effort, complètement négligé par des gens comme Cédric.
A. Trautmann
Passons au premier article choisi par Alain. Pourquoi avez-vous sélectionné ce papier qui traite du déconditionnement physique ?
AT : Car en amont de cette question, l'hypothèse psychosomatique constitue un ensemble qui implique aussi les thérapies cognitivo-comportementale (TCC), le bénéfice de l'exercice gradué pour lutter contre le déconditionnement à l’effort des malades, et le modèle bio-psychosocial. Bazelmans, le premier auteur de cet article, est plutôt en faveur de ce dernier. Mais il conclut ici que le déconditionnement ne semble pas être un facteur perpétuant la fatigue chronique. Donc lui-même dit que le déconditionnement à l’effort n'est pas le problème, et ça m’a amusé de le rappeler alors qu’il s’agit d’une idée répandue.
CL : C'est un article que j'aurais pu citer. Il montre principalement deux choses. Premièrement, quand on met à l'épreuve de façon standardisée les gens qui ont un SFC, on constate que leur condition physique est équivalente à celle des personnes en bonne santé. Un point très important, qui fait penser à des mécanismes psychologiques. Car ceux qui se sentent incapables de bouger ont en fait une capacité physique normale quand on la teste. Deuxième point, pourquoi leur propose-t-on de l'activité physique ? C'est bien dit dans ce papier : parce que chez les témoins comme chez les patients avec un SFC, la fatigue est elle-même corrélée à la condition physique. L’améliorer est ainsi susceptible de diminuer pour tous la fatigue. Donc cet article va pour moi clairement dans le sens du fait que la condition physique n'explique pas la fatigue ressentie par ces patients, qui s’avère un phénomène plus perceptif que physiologique.
AT : On touche là un point de dissensus majeur entre nous. Le malaise post-effort représente une des plaintes les plus courantes chez les personnes souffrant de SFC. C’est-à-dire qu'ils peuvent en effet réaliser l'effort, mais le paient ensuite pendant un jour, deux jours, parfois des semaines. Ce malaise peut se quantifier mais il est complètement négligé par des gens comme Cédric. C’est gravissime, car ce n'est pas vrai qu'ils se trouvent dans le même état. De très nombreux articles cités dans ma revue ont d’ailleurs mesuré des paramètres biologiques anormaux chez des patients.
CL : Il fallait les choisir pour le débat... On me dit toujours qu’il existe plein d’articles, mais aucun ne me convainc. Ce que l'on montre ici avec le SFC, ce sont des épreuves fonctionnelles normales. C'est-à-dire que le corps de ces patients fonctionne bien. Quant aux malaises post-effort, on a vu plus d'un millier de patients souffrant de Covid long à l'Hôtel-Dieu dans un programme de réhabilitation en médecine du sport. Et ils ne sont pas grevés de manière significative par ces malaises. C’est d’ailleurs une des rares méthodes efficaces dans le traitement du Covid long… avec les TCC !
40% du sur-risque féminin de développer un Covid long s’explique par la présence de symptômes dépressifs.
C. Lemogne
Votre deuxième article, que vous co-signez, concerne ce Covid long, et pourrait être perçu comme misogyne. Il évoque des différences de sexe susceptibles d’expliquer des symptômes, les femmes étant davantage associées à la dépression.
CL : Le point de départ de cette interrogation, ce sont encore deux éléments. D’abord, les antécédents de dépression et les symptômes dépressifs, comme d'autres marqueurs d’émotion négative, ont été associés à un risque accru de développer des symptômes persistants après une infection, en particulier avec le Covid. Ensuite, les femmes sont, de façon disproportionnée, atteintes par le Covid long. Le sexe-ratio est d’environ deux femmes pour un homme, le même que pour les troubles anxieux et la dépression.
AT : De même que pour les maladies auto-immunes.
CL : Absolument. Jusqu'ici, l'hypothèse toujours soulevée pour expliquer cette fréquence supérieure des Covid long chez les femmes était une vulnérabilité immunitaire particulière. Nous avons voulu en tester une autre : la dépression étant un facteur de risque de Covid long après infection, quelle proportion du sur-risque féminin d’en développer un peut être expliquée par les symptômes dépressifs ? Nous arrivons à la conclusion que 40% de ce sur-risque est statistiquement explicable par la présence de ces symptômes. Dire cela, est-ce misogyne ? Et quid d’affirmer que les femmes ont plus de risque de souffrir d’un lupus ? Ce n’est pas honteux de présenter des symptômes dépressifs. Et il est vrai que les femmes souffrent plus que les hommes de dépression.
AT : C’est un fait, mais je vois une faille dans votre raisonnement. Quelles sont les différences entre les hommes et les femmes ? Citons notamment le fait que la plupart des gènes de l'immunité sont sur le chromosome X. Ce qui va induire des réponses immunes d'intensité différente, les femmes ayant tendance à mieux réagir à une infection aiguë. Lors de la première vague du Covid, la mortalité était d’ailleurs supérieure chez les hommes. Les femmes présentent une meilleure réponse antivirale aiguë, mais la résolution de l'infection est aussi moins bonne chez elles. C'est sans doute lié à cette histoire de chromosome, et aux œstrogènes.
CL : Vous disposez d’un papier qui montre ça ?
AL : Bien sûr. C'est cité dans ma revue.
CL : Il montre la part attribuable à la réaction immunitaire pour expliquer la différence homme-femme ?
AT : Ce n’est pas une question de part attribuable mais une donnée irréfutable : la position des gènes du système immunitaire sur le chromosome X. Ce qui contribue à expliquer pourquoi les maladies auto-immunes sont beaucoup plus fréquentes chez les femmes, dotées de deux chromosomes sexuels X. Je pense d’ailleurs que la plupart des maladies auto-immunes sont une sorte de SPI. Par exemple la sclérose en plaques, quasiment toujours déclenchée par une infection, souvent par le virus Epstein-Barr, comme cela a été montré dans un article très cité. Donc la mauvaise résolution d'une infection virale peut donner soit un syndrome post-infectieux du type SFC, soit des maladies auto-immunes. Et la haute fréquence de ces maladies chez les femmes est sans doute liée à leur réponse antivirale, plus énergique. On peut observer le même phénomène chez les souris. Donc ce lien, il faut en tenir compte, même si l’on n’en a pas quantifié la part. Il ne faut pas parler uniquement de la dépression, surtout qu'il existe un lien entre cette dernière et l’inflammation. Sinon on s’enferme dans le syndrome du réverbère, l’histoire du gars qui cherche ses clés dessous. On lui demande s’il les a perdues là, et il répond que non, mais que c’est là qu’il y a de la lumière. Donc il ne va pas regarder autour. Les psychosomaticiens sont atteints de ce syndrome.

CL : Où sont les papiers qui montrent ça ? L'hypothèse est séduisante, et c'est très facile de quantifier la part de la réponse immunitaire initiale dans ce risque féminin.
AT : Même si cela n'a pas été testé et qu’il n’existe pas de papier pour répondre exactement à votre question, des données existent et il n'est pas raisonnable de choisir de les ignorer.
CL : Ce n’est pas convaincant. Peut-être que le Père Noël est caché en Laponie et qu’on ne l’a pas cherché ! En cinq ans de recherche sur le Covid long, cette hypothèse extrêmement raisonnable, je l’ai lue plein de fois, mais personne à ma connaissance n'a produit de papier montrant que la réponse immunitaire initiale pouvait constituer le facteur explicatif de ce sur-risque féminin.
AT : Mais on sait que les patients hospitalisés en réanimation ont beaucoup plus de chance de faire un Covid long.
CL : Ce qui devrait entrainer un sur-risque masculin.
AT : Absolument, ça n'explique pas tout. Et on sait aussi que des gens qui ont fait un Covid modéré ont également pu faire ensuite un Covid long. Mais comme c’est une situation multi-causale, on ne peut pas s'attendre à des hypothèses et des réponses simples.
Dans les SPI, c’est comme si le cerveau était mal informé, et renvoyait des signaux inadaptés, insuffisants ou excessifs.
A. Trautmann
Toujours sur ce Covid long, Alain propose un article qui pointe un déficit durable du métabolisme du cerveau chez les malades. Pourquoi ce choix ?
AT : L’imagerie cérébrale apporte des données sur deux phénomènes signalant une anomalie dans le fonctionnement cérébral : l'hypométabolisme et la neuroinflammation. Cet article rapporte un hypométabolisme dans plusieurs endroits du cerveau, notamment le cortex frontotemporal et l’insula, deux zones très importantes pour la notion d'intéroception, qui englobe la façon dont le cerveau est informé de l'état général du reste du corps et renvoie des informations pour rétablir, si besoin, l'équilibre, quelquefois à tort. Dans les SPI, le feedback du cerveau dysfonctionne, comme un avion dont des capteurs de vol lui diraient qu’il descend alors que ce n'est pas vrai. Comme si le cerveau était mal informé, et renvoyait des signaux inadaptés, insuffisants ou excessifs.
On sait d’où vient ce problème dans le cerveau ? Du virus ?
AT : Plusieurs hypothèses sont avancées, mais on sait qu’une inflammation périphérique se répercute systématiquement dans le cerveau. De plus, certains virus présentent un neurotropisme. C’est le cas avec SARS-CoV-2 qui peut migrer le long de voies neuronales. Et là, s’il est détecté par le système immunitaire, une neuroinflammation apparaîtra. Mais quand on en constate une, on ne sait pas s’il s’agit d’une inflammation périphérique arrivée au cerveau ou si elle résulte de la présence de virus.
CL : Douce musique à mes oreilles. Comme l’a dit Alain, cet article ne démontre pas le rôle de l'inflammation dans le Covid long. Il montre que des malades peuvent présenter un hypométabolisme, une activité moindre de certaines régions du cerveau par rapport à des sujets sains. En particulier l'insula, zone effectivement responsable de l'intéroception. Ainsi ces patients reçoivent des signaux qu’ils interprètent comme « tout va s'effondrer », « je suis fatigué » ou « j'ai mal partout ». Une hypothèse, c’est effectivement que le cerveau se trompe. Alors en quoi ce papier irait à l'encontre de la théorie que je défends ? Il apporte plutôt des éléments en sa faveur.
Je suppose que c’est aussi le cas, Cédric, de cet autre article que vous apportez au débat. Une pré-publication qui repère une perception erronée chez les malades du Covid long.
CL : Dans cette étude, on a provoqué un essoufflement chez des sujets sains ou souffrants de Covid long. On a fait respirer les gens dans un circuit initialement pourvu d’air ambiant, qu’on a ensuite fermé, afin que les participants se mettent à inspirer l'air préalablement expiré. Ainsi la pression partielle en CO2 augmente, et les gens éprouvent une sensation d'essoufflement lié à des modifications physiologiques. On observe ici que les sujets atteints de Covid-long souffrent d’une sensation d'essoufflement plus importante que les témoins sains, alors qu'ils présentent les mêmes modifications physiologiques. Et quand on rouvre le circuit à l’air ambiant, ils récupèrent physiologiquement mais la sensation d’essoufflement persiste chez eux. Une des explications possibles serait que le cerveau interprète cette situation de façon excessive, leur faisant ressentir un essoufflement quand leur état physiologique ne le justifie pas. Le symptôme est bien réel, mais pas la perturbation qu’il suggère…
Il existe chez les patients Covid long une décorrélation entre l'intensité des symptômes, très invalidante, et la physiologie respiratoire. La définition d'un trouble fonctionnel.
C. Lemogne
Cela serait donc un TSF ?
CL : Selon ces résultats, il existe en effet chez les patients Covid long une décorrélation entre l'intensité des symptômes, très invalidante, et la physiologie respiratoire. C'est la définition d'un trouble fonctionnel : des symptômes pas ou très peu en relation avec une anomalie des organes ou du système qu’ils désignent.
AT : Le contrôle de la respiration normale, je demande à voir. Car on a déjà entendu que les capacités musculaires des gens souffrant de SFC seraient les mêmes que celles des sujets-contrôles, or c'est faux.
CL : Ils arrivent à réaliser les mêmes performances.
AT : Quand on n'a pas envie de voir quelque chose, on ne le voit pas. Mais on sait très bien que ces gens souffrent de dysautonomie, c'est-à-dire que leur système nerveux autonome – qui inclut le contrôle de la respiration - dysfonctionne. Donc j’ai peine à croire que ce contrôle de la respiration soit parfaitement normal chez eux. Cet article ne parle d’ailleurs jamais de dysautonomie. Et si les auteurs opposent les notions de contrôle de la respiration et de perception d’un manque d’air, il n'écrivent pas un mot sur ce à quoi cela peut correspondre en termes de noyaux cérébraux.
CL : Car ce papier vise à démontrer que les patients ont des sensations respiratoires non liées au fonctionnement de leur respirations. Ensuite on peut chercher d’où ça vient, mais c’est évidemment cérébral.
AT : Sauf que les auteurs ne s’y intéressent pas. Et peut-être que s'ils regardaient de plus près le contrôle de la respiration, ils verraient que leur conclusion ne tient pas.
CL : Les patients arrivent à respirer normalement. S’ils avaient un problème musculaire, ils n’arriveraient pas à se libérer du CO2 inspiré en excès. Or on voit que le CO2 expiré revient à la normale, comme chez les sujets-témoins.

AT : Cela pose la question plus générale des patients Lyme, qui s’entendent dire que leurs analyses sont normales. Mais c'est absurde.
CL : Non.
AT : Il faudrait plutôt dire : je n’ai pas trouvé d’anomalie dans ce que j’ai cherché. Mais c'est sûr que si on fait une analyse sanguine à quelqu'un qui s'est cassé la jambe, on va lui dire qu’elle est normale.
CL : Mais là on a étudié la physiologie des gens présentant un trouble respiratoire avec des épreuves fonctionnelles respiratoires, le gold standard de l'exploration de la dyspnée pour détecter une dysfonction du système respiratoire. Ce n'est pas du tout comme faire une prise de sang à quelqu’un qui a une fracture ! Les auteurs n'ont pas évoqué le cerveau car ce n’était pas leur objet, à savoir l’essoufflement ressenti. Et a-t-il quelque chose à voir chez les patients Covid long avec la physiologie respiratoire ? La réponse est non, au moins pour de nombreux patients.
AT : Mais ils ont mal exploré leur physiologie respiratoire.
CL : Qu’auraient-ils dû faire ?
AT : Je suis pas un spécialiste de cela.
CL : Alors comment savez-vous qu’ils l’ont mal explorée ?
AT : Car cette position est défendue par ceux qui affirment que les gens avec SFC n'ont pas de problèmes musculaires, alors que des dizaines d'articles montrent qu'ils en souffrent sérieusement.
CL : En tout cas ces problèmes musculaires ne les empêchent pas de respirer normalement.
AT : Je n’affirme pas qu’en l’espèce il s’agisse d’un problème musculaire...
CL : Vous n'y croyez pas, mais pas sur une base méthodologique.
AT : Se contenter de dire qu'un contrôle est normal chez des gens atteints d’une dysautonomie marquée relève déjà d’un problème méthodologique.
Chez les malades du SFC, le niveau de certaines molécules protectrices des muscles diminue après un exercice physique, alors que normalement il augmente.
A. Trautmann
Alain, vous venez d’évoquer le SFC, dont traite justement un autre article que vous proposez. Il porte sur les facteurs de stress dans les antécédents des patients victimes de ce syndrome, associés à un stress oxydatif. Deux types de stress qui seraient liés ?
AT : En effet, c'est un peu problématique d'utiliser le même mot pour des réalités très différentes. Généralement, quand on parle de stress, cela se réfère à une peur, mais les biologistes parlent aussi de cellules stressées, ce qui résulte simplement d’un changement de leur milieu. Il est donc ici question de facteurs de stress locaux dans le muscle. Rien à voir avec le cerveau. L’article montre des choses assez étonnantes. Dans nos cellules, certaines molécules, appelées heat shock proteins ou hsp, servent à protéger les protéines cellulaires contre des variations de température qui pourraient les altérer. Ces molécules sont très importantes pour maintenir le fonctionnement normal d'une cellule, soit par rapport à un stress oxydatif local, soit en cas de nécessité de réparation d’un muscle. Là, on a soumis à un exercice physique des patients SFC et des sujets-contrôles. Chez ces derniers, le niveau des molécules hsp augmente nettement après l’effort, comme s’il fallait renforcer le système de sécurité. Mais chez les patients SFC, le niveau diminue. On détecte donc un problème sérieux dans leurs muscles. Or la fatigue figure parmi les principales plaintes des gens qui souffrent de SFC ou de SPI. Ils n’en peuvent plus d’être tout le temps épuisés. Mais d'où vient cette fatigue ? Certains considèrent que cela se passe uniquement au niveau du cerveau, mais je pense que c’est aussi musculaire. Et cet article montre très bien que cette anomalie périphérique existe.
CL : Dans ce papier, je relève que l'activité physique de base de ces individus n’a pas été mesurée.
AT : Ce sont des sportifs.
CL : Non, certains ont été sportifs de haut niveau, mais ils présentent un SFC et ont cessé l’activité physique.
AT : Ils ne peuvent plus.
CL : Quand on teste la réactivité à l'effort physique, les muscles ne réagissent pas de la même façon si vous faites cinq footings par semaine ou si vous êtes sédentaire depuis des mois, cloué au lit par un SFC. Et il est important de tenir compte de l'activité physique de base pour expliquer pourquoi celui qui n'en a plus n’a pas la même réponse musculaire que celui qui s'entraîne. Or sans proposer de mesure, les auteurs indiquent que les témoins du groupe-contrôle sont sédentaires, mais aussi qu’ils pratiquent de façon épisodique des activités sportives comme le tennis. Bref, ils ne semblent pas avoir une activité physique comparable à celle des patients atteints de fatigue chronique.
AT : Vous exigences sont impossibles à contenter. Ce sont des sportifs qui ne demanderaient qu'à pouvoir bouger mais qui sont condamnés à un repos forcé par le SFC. Ils souffrent de malaise post-effort, et vous voudriez que l'essentiel de ce qu'on voit d'anormal vienne d'un déconditionnement à l'effort ?
CL : Je ne veux pas ça, mais fais remarquer que des études observationnelles avec cas-témoins ne peuvent pas démêler cause et conséquence. D'autre part, en science, on commence à croire à un résultat quand il est répliqué plusieurs fois. Or ce résultat ne l’a jamais été depuis 2012.
AT : C'était déjà une confirmation car un résultat similaire sur les hsp et le SFC avait été publié quatre ans plus tôt.
CL : Deux articles, donc, et aucun depuis 2012. Par ailleurs, ce papier ne montre pas de différence en interleukine 1-Beta, une citokyne inflammatoire. Un résultat que vous avez oublié dans votre revue.
AT : Dans ma revue, je n’ai pas oublié cet interleukine 1-Beta et précise bien que les niveaux de marqueurs inflammatoires ne sont pas cohérents suivant les études. Certaines voient des SPI avec composantes inflammatoires avérées, d'autres non. Je n'ai jamais dit que c'était un marqueur systématique.
CL : C'est important parce qu’on parle beaucoup de cytokines, mais chez plein de patients, on ne trouve pas de cytokines inflammatoires…
AT : …mesurables dans le sang. Mais il a été démontré que si on injecte une toxine bactérienne, le LPS (lipopolysaccharide), à des souris, l'inflammation détectable dans le sang est très transitoire, alors qu'une neuroinflammation reste mesurable 10 mois plus tard.
Beaucoup de résultats ne sont jamais répliqués. Mais ce qui est crédible au bout d’un certain temps, c'est un résultat reproduit par des équipes différentes.
C. Lemogne
Passons à une autre maladie, le syndrome de l'intestin irritable, que des personnes anxieuses ou stressées seraient plus enclines à avoir, d’après l’article que propose Cédric. Qu’apporte-t-il ?
CL : Il vient souligner la question de la réplicabilité, une donnée importante car beaucoup de résultats ne sont jamais répliqués, pour toutes sortes de raisons. Mais ce qui est crédible au bout d’un certain temps, c'est un résultat reproduit par des équipes différentes. Donc j'ai voulu montrer qu'à travers plusieurs infections (les gastroentérites infectieuses, la Covid 19 ou la maladie de Lyme), la propension à éprouver des émotions négatives constitue un facteur de risque de développer des symptômes persistants. De façon transversale et répétée. C'est ainsi un fait bien établi, qui n'est pas propre à un virus ou une bactérie.
AT : Mais ce papier dit aussi qu’un comportement d'évitement ou une dépression ne sont pas associés à l'apparition d’un intestin irritable.
CL : Oui, seulement l’anxiété et un comportement de type « tout ou rien ».
L’étude suivante concerne des tests effectués par des patients Covid longs et SFC. Alain, pourquoi ce choix ?
AT : Très souvent, on utilise des questionnaires pour savoir si les patients présentent des problèmes, ce qui peut conduire à résultat jugé subjectif et sujet à caution car cela manque de quantification objective. Cet article présente justement des façons de mesurer des dysfonctionnements grâce à un test sur la dysautonomie. Il vise à comprendre ce qui se passe lorsque quelqu'un reste allongé pendant dix minutes, puis se lève. Le cœur doit alors consentir un effort pour envoyer le sang au cerveau, mais un système de contrôle instantané permet de passer sans problème de l'horizontalité à la verticalité. Certaines personnes présentent toutefois ce que l’on appelle une intolérance orthostatique : si elles restent dix minutes à l’horizontale, puis se redressent d’un seul coup, elles peuvent alors dysfonctionner, notamment avec un cœur se mettant à battre plus vite.
Cette étude a effectué des tests de ce type en prenant des mesures telles que la tension ou la fréquence cardiaque, le tout associé à un test cognitif mesurant la vitesse de réaction à toute une série de questions. Ces deux tests ont été combinés, avec d’abord le cognitif, puis la dysautonomie, et à nouveau le cognitif. Il en sort des quantifications très claires. Pour un individu normal, se redresser n’entraine pas de conséquences, et le second test cognitif est meilleurs que le premier, car l’entrainement joue. Mais pour quelqu’un souffrant du SFC et d’une intolérance orthostatique, le deuxième test cognitif s’avère nettement moins bon. Car la perturbation liée au dysfonctionnement du système autonome a un impact délétère, non seulement sur le système vasculaire mais aussi sur le fonctionnement cérébral. La simple verticalisation déclenche une réaction et permet de mesurer des choses anormales chez ces patients.
La communication permanente entre le cerveau et les organes est modifiée chez les gens présentant une dysautonomie, dysfonction du système nerveux autonome.
A. Trautmann
Cela montre que leur trouble n’est pas psychosomatique ?
AT : Il existe une composante cérébrale évidente, mais elle n’est pas seule. Et surtout, dans le système nerveux autonome dont le dysfonctionnement produit une dysautonomie, des informations circulent dans les deux sens. Le cerveau envoie des commandes vers le cœur, les poumons, l'intestin, etc. Mais les différents organes font aussi parvenir des informations en feedback. Cette communication permanente se trouve modifiée chez les gens qui ont une dysautonomie.
CL : Quand on réalise des études cas témoins, comparant des gens malades et pas malades, les différences observées peuvent être liées à la maladie mais aussi à n'importe quelle différence entre ces deux groupes. Or là, on apprend que ces gens ont des différences d’âges significatives, et pas la même activité physique. Ensuite, des facteurs d'ajustement ne sont pas pris en compte, même pas renseignés. Par exemple, l’un des facteurs de risque de développer un Covid long est l’hypertension artérielle. Mais ce papier, qui développe l'hypothèse que les troubles cognitifs induis par le Covid long sont liés à une élévation de la pression artérielle, n’a pas contrôlé si les patients souffraient d'hypertension ! Troisième élément, l’inexistence de contrôle sur les tests multiples. Et quatrièmement, alors que la dysautonomie a des définitions précises, notamment le syndrome de tachycardie posturale orthostatique avec une élévation anormalement élevée de la fréquence cardiaque, ce n'est tout simplement pas observé ici chez les patients.
AT : L’intolérance orthostatique ne se manifeste pas que par la tachycardie.
CL : Elle en constitue la définition. En outre, on lit que les patients passent en moyenne quatre heures par jour debout. Le jour du test, on monte à quatre heures plus dix minutes, et cela donne des troubles cognitifs repérables pendant des jours et des jours ? Cela n’a aucun sens en termes physiologiques. Tous les matins pendant des mois, ils se sont levés, et là, d'un coup, on leur dit au laboratoire « attention, vous allez vous lever », et cela leur donne de tels troubles cognitifs ?
AT : Je suis dubitatif, car Komaroff, le dernier auteur de cet article, est un des papes du SFC, l’un des premiers à l’avoir décrit.
CL : La discussion ne contient même pas de section « limitations », un signe qui ne trompe pas. Dans un papier bien fait, on décrit les limites de l’étude. J’en déduis que votre ponte a négligé la base de la base.
AT : Une question très intéressante demeure, à mes yeux : il est méthodologiquement possible de mesurer d'une part l’intolérance orthostatique, d'autre part les troubles de cognition. Et ce avec des outils très simples, bien décrits. Or c’est un tel problème pour ces pathologies que beaucoup de résultats soient basés sur des questionnaires. Alors quand quelqu'un dit que l’on peut mesurer quelque chose, il faut en tenir compte.
CL : Mais l'hypothèse que les troubles cognitifs sont liées à une élévation modeste de la pression artérielle diastolique, le seul marqueur significatif, pourquoi ne la testent-ils pas ?
AL : Ce qu’ils mesurent précisément n’est pas la pression artérielle diastolique mais le volume sanguin expulsé à chaque contraction cardiaque. Et ils ne disent pas que sa variation est la seule cause possible aux symptômes. Il en existe tellement d'autres.
CL : C'est ce que vous avez retenu dans ce papier. Et à aucun moment, les auteurs ne cherchent à savoir quelle est la part des troubles cognitifs imputable à cette élévation pendant le test, alors qu'ils disposent des données. Mais dans la discussion, ils établissent des liens qu'ils auraient pu tester. Si on émet une hypothèse, on va jusqu'au bout. Cela représente dix minutes de stats, mais ils n’ont pas pris ce temps.
(A suivre)