Où est l’obscurantisme ?
L’obscurantisme que je dépeins dans mon nouveau livre n’est pas celui que l’on combat habituellement. Car il est au pouvoir, comme le précise l’extrait introductif que vous présente Raison sensible.
Où est l’obscurantisme ? Telle est la question que pose le premier chapitre de mon nouveau livre, L’obscurantisme au pouvoir, dont je vous offre la fin dans cette nouvelle lettre Raison sensible. Ce chapitre introductif débute à l’Académie des sciences aux côté de sa secrétaire perpétuelle honoraire, la physicienne Catherine Bréchignac, auteure en 2022 de Retour vers l’obscurantisme. Dans les premières pages de mon ouvrage, elle révèle la raison qui l’a poussé à plancher sur ce sujet : une impossibilité de débattre au sein de l’Académie de questions essentielles touchant au covid telles que les modélisations catastrophes qui ont conduit à imposer les confinements au début de la pandémie.
Egalement membre de l’Académie des sciences, le biologiste Miroslav Radman note pour sa part que ce manque de débat contradictoire n’a pas été une spécificité française, puisque qu’« alors que le covid était l’ennemi public numéro 1 mondial, pas un seul symposium purement scientifique n’a été organisé ». Et Catherine Bréchignac de répliquer : « Il n’y a rien eu, car on ne pouvait rien dire. Voilà pourquoi je suis partie écrire mon livre sur l’obscurantisme, même si j’ai voulu proposer un essai qui donne envie de réfléchir sans être polémique et n’ai donc guère parlé du covid ».
Un obscurantisme qui se pose en voix de la science
Le covid est au contraire la porte d’entrée de mon livre et le principal révélateur d’une dérive obscurantiste qui s’exprime par différentes formes d’autoritarisme manifestant un refus d’envisager certaines hypothèses ou de mener certaines recherches. Miroslav Radman en donne vite un exemple avec l’éventualité que les vaccins covid à ARN messager ou à vecteur adénovirus puissent s’intégrer dans le génome des vaccinés. Une intégration qui a été présentée comme impossible, « sans avoir recherché si c’était vrai », remarque ce grand spécialiste de l’ADN pour qui le covid a été cette « fête de l’obscurantisme » durant laquelle « on a oublié des connaissances essentielles ».
Comme dans bien d’autres domaines, des choses n’ont ainsi pas été recherchées, mais cela n’a pas empêché de se montrer affirmatif, comme si une supposée vérité scientifique faisait consensus. Les avis controversés remettant en question des positions dogmatiques ont alors pu être assimilés à de la désinformation, aussi bien dans les médias que dans des institutions de la recherche comme l’Inserm. Une forme d’obscurantisme qui se démarque ainsi de celui sur lequel on alerte habituellement en pointant des personnes présentées comme « antisciences », refusant le progrès.
L’obscurantisme sur lequel je me penche n’avait quant à lui pas encore été identifié alors que son impact est grand, vu qu’il est dominant. Il se drape de raison et se pose en voix de la science, mais entrave en fait la connaissance. Il convenait donc de dévoiler la réalité d’un obscurantisme au pouvoir, en commençant par préciser sa caractéristique première, ce que fait l’extrait que vous propose aujourd’hui Raison sensible.
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Alors où est aujourd’hui l’obscurantisme ? Pour le savoir, il importe déjà de bien comprendre de quoi il s’agit en revenant au sens de ce mot. Plus concis que le Trésor de la langue française, Wikipédia définit l’obscurantisme comme une « attitude d’opposition à la diffusion du savoir, dans n’importe quel domaine ». Selon l’encyclopédie en ligne, un obscurantiste refuse de «reconnaître pour vraies des choses démontrées», il restreint la circulation des connaissances, mais s’avère aussi «contre la propagation de nouvelles théories». Cela concerne donc à la fois le refus de données acquises et une opposition à des idées ou des hypothèses susceptibles de contredire un ordre théorique établi. Le champ d’application potentiel est ainsi bien plus large que celui qu’occuperaient les antisciences incarnées par des opposants aux vaccins ou aux OGM. Il intègre surtout ceux qui ont la possibilité de s’opposer à la propagation d’idées nouvelles ou d’occulter certains faits susceptibles de remettre en question une représentation du monde considérée comme indiscutable, renvoyant aux notions de pouvoir ou d’autorité que l’on aurait presque oubliées quand on parle aujourd’hui d’obscurantisme.
Catherine Bréchignac nous a certes rappelé que l’on n’était plus au temps de Galilée et que l’obscurantisme n’était plus l’apanage de l’État ou de l’autorité religieuse. Les obscurantistes que l’on a tendance à dénoncer de nos jours sont d’ailleurs généralement des minorités plus ou moins marginales. On les perçoit communément comme des arriérés refusant le progrès. Emmanuel Macron en a donné une belle illustration quand il a défendu le réseau 5G en se présentant comme le président du « pays des Lumières » pour se moquer de ceux qui préféreraient « le retour à la lampe à huile » et le « modèle amish », cette communauté chrétienne qui vit sans téléphone, sans voiture et en utilisant l’électricité avec parcimonie. Or cette vision caricaturale de l’obscurantiste nous fait passer à côté de certains groupes ou individus ayant la capacité d’obscurcir ce qui les dérange comme de ceux qui défendent une pensée dominante en s’employant à ce qu’elle ne soit pas contredite, par conviction, idéologie ou intérêt personnel.
Quand le complotisme devient un mot-valise
Depuis plus de vingt ans que je suis journaliste, j’ai eu plusieurs occasions de voir cet obscurantisme au pouvoir. La plus marquante a fait l’objet de mon précédent livre qui concernait l’origine du virus du covid (1). J’y exposais comment l’hypothèse selon laquelle SARS-CoV-2 se serait propagée à la suite d’une fuite de laboratoire a pu être discréditée en la cataloguant comme une théorie du complot. Ce qui renvoie à un véritable phénomène de notre époque : le complotisme. Catherine Bréchignac perçoit comme un «cancer de l’esprit» ce mode de penser qui consiste à récuser l’explication communément admise d’un événement, voire le constat d’un fait établi, en affirmant que la réalité serait tout autre que la version dite officielle et résulterait en fait d’un complot. La physicienne a été effarée de découvrir le discours de ceux qui croient, au XXIe siècle, que la Terre est plate. «C’est fou que 2500 ans de questionnements et de mesures ayant abouti à comprendre le mouvement d’une Terre sphérique autour du Soleil n’évitent pas de sombrer dans une logique d’ignorance », se désole- t-elle. D’autant qu’elle a observé une recrudescence « du déni, de la bêtise, de la négation de la réalité » sur le web où on peut lire que «personne n’a jamais marché sur la lune» ou que «le monde est gouverné par des reptiliens ».
Des théories plus délirantes les unes que les autres se répandent effectivement sur la toile en dépit du bon sens et de la connaissance. Mais Catherine Bréchignac a omis de signaler l’existence d’une sorte de métastase ou d’effet collatéral de ce cancer de l’esprit qu’est le complotisme : la transformation du terme en mot-valise. Il peut ainsi servir à qualifier, ou plutôt à disqualifier, différentes sortes d’oppositions, d’hypothèses ou de théories controversées. Wikipédia évoque un concept désormais « utilisé pour disqualifier toute pensée antisystème ». Un procédé nuisible scientifiquement s’il entrave la recherche, comme ce fut le cas pour l’origine de SARS-CoV-2.
Fausse information sur l’origine du covid
Envisager que ce virus provienne d’un laboratoire où il aurait pu faire l’objet de manipulations et d’expériences à des fins de recherche sur la capacité d’un pathogène à devenir pandémique, cela n’avait pourtant rien d’une théorie farfelue. La survenue de l’épidémie à Wuhan légitimait plutôt que soit examinée immédiatement la possibilité d’un tel accident, puisque la métropole chinoise abrite plusieurs laboratoires travaillant sur les coronavirus, dont son institut de virologie se situant à la pointe mondiale de ce type de recherches. Mais une tribune, publiée dans la revue médicale The Lancet, a assimilé, dès le mois de février 2020, l’hypothèse selon laquelle SARS-CoV-2 n’aurait pas une origine naturelle à du complotisme. Cosigné par vingt-sept scientifiques du monde entier, l’article avait, en fait, été écrit par un proche collaborateur de l’Institut de virologie de Wuhan, auquel il apportait des financements publics américains pour sa recherche sur les coronavirus. Cet homme, Peter Daszak, qui allait devenir l’un des experts les plus en vue de la commission de l’OMS chargée d’enquêter sur l’origine de SARS-CoV-2, a su user de son influence pour manipuler l’opinion et la communauté scientifique. Et ce, grâce à la caution d’une revue comme The Lancet qui lui a permis pendant plus d’un an de faire cataloguer comme complotiste une hypothèse de recherche tout à fait légitime.
«C’était vraiment de l’obscurantisme, me confie Catherine Bréchignac. Cela m’a d’autant plus marquée que j’ai beaucoup poussé pour que la France livre à Wuhan son laboratoire P4 quand j’étais à la tête du CNRS. Alors quand j’ai vu ces pauvres médecins chinois nous alerter sur une nouvelle épidémie, je me suis dit : aïe ! Le virus se serait-il échappé de notre P4 ? Je demandais autour de moi si l’on pouvait seulement poser la question, mais tout le monde éradiquait cette possibilité sous le prétexte du complotisme. » Pendant ce temps se propageait la fausse information que le coronavirus provenait probablement d’un pangolin et qu’il s’agissait clairement d’un virus naturel, cette fois avec le soutien récurrent de grandes revues du groupe Nature.
De prestigieuses revues outils de l’obscurantisme
«Les journaux scientifiques les plus influents du monde devraient être un forum de débat, en particulier sur quelque chose d’aussi controversé et fascinant que l’origine d’une pandémie mortelle, rappelle le médecin et chercheur danois Peter Gøtzsche (2). Au lieu de cela, le Lancet et Nature ont joué un rôle central dans la propagation de fausses nouvelles, mettant fin à la discussion et discréditant des vues alternatives. » Cofondateur de la collaboration Cochrane, créée en 1993 pour évaluer de façon critique les publications scientifiques concernant la médecine, Gøtzsche est connu pour avoir dévoilé les comportements frauduleux d’une industrie pharmaceutique qui peut bénéficier de la complaisance de grandes revues médicales. Il a vu dans cet épisode de désinformation massive un summum et considère la publication de l’article du Lancet, qualifiant l’hypothèse du laboratoire de conspirationniste, comme le « moment le plus sombre de ma vie pour la science ».
La piste du laboratoire est aujourd’hui reconnue comme sérieuse. C’est le fruit du travail d’enquête et de l’engagement de chercheurs professionnels ou amateurs qui ont déniché et révélé quantités d’informations sur le virus apparu à Wuhan et les recherches ayant pu être menées dans cette ville. L’accumulation d’éléments apparaissant comme des indices est devenue en 2021 incontournable. Il est depuis de bon ton d’incriminer le régime de Pékin pour son opacité et son obstruction à toute enquête internationale qui permettrait d’investiguer ce qui a pu se passer dans les laboratoires de Wuhan, mais le dysfonctionnement de la recherche scientifique, symbolisé par le rôle de ces prestigieuses revues qui ont été les outils de l’obscurantisme, n’est quasiment jamais évoqué. Cet obscurantisme n’est pas celui des amish ou de réfractaires à la science et au progrès, mais celui d’institutions destinées à les représenter. De supposés vecteurs de ces fameuses lumières censées nous apporter la connaissance, mais à qui il arrive au contraire de l’entraver ou d’empêcher qu’elle n’émerge.
Des recherches vouées à l’obscurité
Vous l’aurez compris. C’est sur cette forme d’obscurantisme que nous allons nous pencher, car la science doit être dénuée de préjugés, voire de censure pour pouvoir avancer librement vers une plus grande connaissance. La crise du covid aura constitué un révélateur, un gigantesque théâtre de préjugés sur la scène duquel la science a pu être de tous côtés instrumentalisée avec de fortes implications politiques, médiatiques et sociétales. Mais il sera aussi question d’autres situations où un obscurantisme se drapant de raison a pu faire obstacle à des recherches qui risquaient de briser des dogmes. Par exemple, une découverte en paléontologie potentiellement majeure pour la connaissance de l’évolution de l’homme, et méthodiquement ignorée. Un sort également réservé à des données expérimentales qui remettent en cause une vision matérialiste de la conscience. Ici et là, on retrouve la manifestation d’un obscurantisme préservant une idéologie et des intérêts. Ce même obscurantisme qui fait que l’on ne sait toujours pas, après quatre ans de pandémie, quels traitements pourraient être efficaces pour soigner le covid, tout simplement car nous n’avons pas cherché à le savoir. Et ce, malgré des molécules qui se sont montrées prometteuses.
Autant vous le préciser tout de suite, je ne vais pas vous dire comment vous soigner ou quels remèdes utiliser face au covid ou n’importe quelle autre maladie, ni vous annoncer que tel ou tel scientifique mériterait un prix Nobel pour une découverte écartée, même si certains des travaux qui vont être évoqués pourraient avoir des répercussions considérables et, éventuellement, changer notre vision du monde.
Le but de ce livre n’est pas de trancher des controverses. Seulement d’essayer de comprendre pourquoi certaines recherches ne peuvent pas se dérouler normalement et se retrouvent vouées à l’obscurité.
(1) Perrier B., SARS-CoV-2, aux origines du mal, Belin, 2021
(2) Gøtzsche P, The Chinese virus : Killed millions and scientific freedom, Institute for scientific freedom, 2021.
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