« Le système médiatique méconnait la science et la médecine »
Chroniqueur santé à la télé, Gérald Kierzek a apporté une mesure rare pendant la pandémie. Aujourd’hui, face à une médecine largement oubliée dans les médias, il préconise un débat encore inexistant.
Durant la crise du covid, Gérald Kierzek a clairement dénoté dans le paysage audiovisuel français. Médecin urgentiste à l’Hôtel-Dieu, il était le chroniqueur médical du groupe TF1 et n’a cessé d’apporter une voix singulière dans un flot de commentaires télévisés où les supposés experts venaient principalement conforter un discours dominant alarmiste.
Avec une liberté de ton étonnante, notre invité de la semaine a par exemple pu remettre en cause les appels au confinement formulés par des responsables de l’AP-HP durant l’hiver 2021 en relativisant le risque de débordement des services de réanimation à l’aide des chiffres de la fréquentation des urgences qui ne correspondaient pas à la vision catastrophiste propagée sur la plupart des plateaux TV. Il recommanda aussi une vaccination ciblée sur les personnes à risques de forme grave alors que la doxa, incarnée par le président du conseil d’orientation de la stratégie vaccinale Alain Fischer, prônait de la pratiquer sur toute la population, y compris les enfants, avec des produits sur lesquels on manquait pourtant de recul, tout en sachant déjà qu’ils n’empêchaient pas la transmission du coronavirus.
Une modération bienvenue dans l’hystérie médiatique
Bref, dans un climat d’hystérie médiatique où des fondamentaux de la médecine et de la science avaient été oubliés, le docteur Kierzek a fait preuve d’une modération bienvenue quand la tendance du mainstream était plutôt de renvoyer au statut infamant de complotiste ou d’antivax toute pensée divergente. Ce qui contribua d’ailleurs à un rejet croissant de la parole scientifique et médicale dans la population, comme le déplorait l’urgentiste dans un article dressant un état des lieux des rapports entre médecine et télévision, publié l’année dernière.
Dans cet article, Gérald Kierzek, aujourd’hui chroniqueur pour Télé matin et France Bleu mais aussi directeur médical du site Doctissimo, pointait également le quasi abandon depuis la crise covid des questions liées à la médecine et à la santé dans le paysage audiovisuel. Il déplorait surtout une absence de débat sur des questions aussi fondamentales pour la société qu’hautement concernantes pour tout un chacun. Le diagnostic étant toujours pertinent, votre lettre Raison sensible a souhaité interroger le docteur Kierzek sur ce rapport entre la santé et les médias.
En tant que chroniqueur santé, et avec maintenant du recul, que retenez-vous de la crise covid au niveau du traitement médiatique de l’information médicale ?
L’absence de nuance. Je m’en suis particulièrement rendu compte car c’est mon domaine de compétence, mais l’on retrouve aujourd’hui cela sur presque tous les sujets. On a une vision binaire de la société, dichotomique, et la télévision et ses chaines infos ont poussé à ça. On fait du buzz et il n’y a pas de place, sauf exception, pour une argumentation nuancée. Sur le covid, il y avait les pro ou les anti Raoult, les pro ou les anti vaccins, alors que la médecine, ce n’est pas une vision binaire ou caricaturale. Mais le système médiatique et politique méconnait la science et la médecine. Donc dans ce paysage, il est très difficile de faire preuve d’un caractère raisonnable, de mettre les choses en perspective.
Vous relevez que les journalistes ne sont pas assez formés aux questions médicales...
C’est clair. Ils ont à peu près tous suivi le même cursus de type science po, histoire ou économie. Il y a très peu de formations sur les sujets scientifiques, comme il y a peu de journalistes spécialisés sur ces sujets. Ils constituaient le parent pauvre des rédactions et n’intéressaient pas les rédacteurs en chef et le monde médiatique d’une manière générale. Avec le covid, ça a explosé, et il a fallu trouvé des experts. Mais le manque de connaissance et de réseau a fait émerger à la télévision des pseudos experts qui ont participé à une hystérisation de la science et de la médecine. Cela a eu des conséquences dramatiques en influençant grandement le politique. Je suis persuadé que si la crise covid avait eu lieu à une époque où il n’y avait pas les réseaux sociaux et les chaines infos, il n’y aurait pas eu les mêmes répercussions.
On était dans un conformisme institutionnel. Aucune voix dissonante ne pouvait émerger et elles ont toutes été balayées
Parallèlement à ce manque de formation dans les rédactions, n’y a-t-il pas aussi une forme de conformisme chez les journalistes scientifiques qui vont se limiter aux experts convenus ?
Bien sûr, il y a du mainstream, les experts dominants. Or la science, c’est prendre du recul, expérimenter, tester de nouvelles choses. Les grands progrès scientifiques ont été faits par des gens disruptifs. Mais là, on était effectivement dans un conformisme institutionnel. Le politique s’appuyait sur des recommandations institutionnelles, ou susurrait à l’oreille de la Haute autorité de santé. Aucune voix dissonante ne pouvait émerger et elles ont d’ailleurs toutes été balayées.
Avec du coup une dépendance à des experts obligés. Qui étaient-ils ?
Certains étaient labellisés du fait de leur parcours hospitalo-universitaire, mais je pense que la crise covid a été la faillite d’un système hospitalo-universitaire incarné par des gens auto-suffisants diffusant un discours totalement alarmiste, en dehors de la réalité. Et puis il y a eu d’autres experts adoubés non pas par leur institution ou leur parcours universitaire mais par les médias parce qu’ils parlaient bien ou avaient une position clivante. Et ce même s’ils ne s’exprimaient pas sur leur spécialité, comme certains néphrologues qui n’avaient jamais soigné un malade du covid.
Tenaient-ils le discours que l’on voulait entendre ?
C’étaient des bons clients. Combien de fois m’a-t-on dit : tu vas sur le plateau et tu feras le pour car on quelqu’un contre en face. Mais la médecine ne marche pas comme ça. En s’inscrivant néanmoins dans cette logique binaire, certains confrères ont eu leur quart d’heure “warholien”.
Vous qui ne rentriez pas dans cette logique avec une parole plus nuancée, vous vous l’êtes vu reproché…
J’ai surtout eu une grande liberté de parole, avec ma modération naturelle. Mais c’est clair que des gens ont essayé de me débrancher. Des supposés experts ont pu appeler des journalistes pour dire de ne pas m’inviter.
Pourquoi ? Parce que vous n’aviez pas le discours stéréotypé sur le vaccin ou les mesures sanitaires de type confinement ?
Je n’avais pas le discours dominant, ne hurlais pas avec les loups. Mais mes propos ont toujours été dans le respect de la déontologie médicale et je ne retire pas un mot de ce que j’ai dit depuis le début de la crise. Les positions de la Haute autorité de santé sont d’ailleurs devenues celles que j’ai toujours défendues. Par exemple sur le vaccin et sur qui doit être protégé. C’est tout simplement de la médecine, avec une relation médecin malade et la proposition de tel ou tel traitement en fonction des facteurs de risque. Un discours raisonnable auquel ont fini par arriver les institutions. Je regrette toutefois que personne ne se remette en question par rapport à ce qui a été dit. Mais là n’est pas le plus ennuyeux.
La santé est un sujet de cohésion sociale, de consentement à l’impôt. Un beau sujet politique
Qu’est-ce qui est le plus ennuyeux ?
Que ce refus d’un retour d’expérience ne permette pas de sortir de cette crise en remettant la santé au cœur de l’actualité. Or c’est une préoccupation majeure dans la population. Quand on regarde les sondages, les gens sont très intéressés par la santé. C’est aussi un sujet de cohésion sociale, de consentement à l’impôt. Un beau sujet politique en somme. D’autant que l’on est en retard en France sur la prévention, donc il y aurait plein de messages à diffuser. C’est regrettable que l’on soit passé à côté de ça, car le covid, c’était quoi en fait ? La maladie d’un système de santé lui-même malade, et l’échec de la prévention. Ce que l’on a appelé une syndémie car le covid touchait les plus fragiles : les personnes âgées, les obèses, les diabétiques... On aurait dû tirer les leçons en disant que l’on manquait de lits d’hôpitaux, de services de réanimation, donc qu’il fallait arrêter de les fermer en prévention d’une prochaine crise. Au lieu de cela, on a dit que c’était un virus terrible qui risquait de tuer tout le monde. Le deuxième message à faire passer aurait dû être d’appeler à prendre sa santé en main, mais on ne l’a pas dit non plus.
A-t-on en revanche déshumanisé la santé et la médecine en les réduisant à des critères statistiques et des modèles mathématiques ?
On a effectivement une médecine des chiffres actuellement. Alors évidemment, la médecine repose sur des études qui apportent des preuves d’efficacité, mais pas uniquement. Les intervention non médicamenteuses (INM) ont d’ailleurs un rôle important à jouer bien qu’on se montre incapable de les évaluer. Elles sont donc souvent évacuées par la nomenklatura médicale alors qu’on devrait au contraire s’ouvrir à des pratiques telles que l’acupuncture ou la naturopathie en les évaluant d’une manière qualitative. Car la médecine n’est pas une science exacte. Elle s’appuie sur de la science, mais il ne faut pas oublier que c’est un art et que doit primer une médecine de l’individu. Or là, on privilégie une médecine de population. On a d’ailleurs bien vu pendant le covid que le pouvoir a été pris par les épidémiologistes, les statisticiens et les spécialistes de santé publique. Des gens qui ne voient pas de malades.
Ils ont pris le pouvoir car il n’y a pas eu de débat ? Parce qu’on n’a pas pu remettre en cause ce que ces experts disaient ou soutenaient avec leurs modélisations ?
Non, ce pouvoir s’est étendu avec le covid au plan politique et médiatique, mais il a en fait été pris depuis des années au niveau médical et universitaire. Ce n’est pas le meilleur chirurgien qui est nommé professeur de chirurgie, mais celui qui publie des statistiques.
Il y a un conformisme évident avec une espèce d’aristocratie qui rend inaudible des voix minoritaires qui devraient pourtant être entendues
Mais cette domination de la médecine statistique n’est pas mise en débat…
Non, il n’y a pas de débat car tout le monde est formaté de la même façon. Les gens sont formés et sélectionnés comme ça, donc ils ne vont pas remettre en question ce qu’ils sont. Je discute beaucoup avec des anciens médecins, des doyens académiciens qui déplorent cette évolution, comme le professeur Patrice Queneau qui avait écrit Le malade n’est pas un numéro. Aujourd’hui, le malade est pourtant devenu un numéro, un chiffre, et plus un individu. C’est une évolution internationale qui ne date du covid mais du règne des grandes cohortes, des essais cliniques, de la statistique sur des groupes dits homogènes de malades qui déterminent le financement de la médecine.
Les médias ne pourraient-ils pas mettre cela en débat ?
C’est un sujet compliqué que l’on laisse aux spécialistes. Quelques politiques, généralement des médecins, se le sont d’ailleurs accaparés. Et au niveau médiatique, le temps n’est maintenant plus au débat. Une information chasse l’autre, il faut que ça aille vite, et on évite donc les sujets complexes. L’organisation de la santé relève aussi de la cuisine interne de la médecine et je comprends que la télé n’ai pas très envie de s’en mêler.
Pas forcément la télé, mais ce sujet pourrait intéresser la presse et le covid aurait pu conduire à le traiter du fait de l’importance qu’on pris les modèles statistiques pendant la pandémie.
C’est vrai...
Y a-t-il en fait un problème de refus de la controverse scientifique et médicale chez les journalistes ? Je l’observe dans mon dernier livre, L’obscurantisme au pouvoir, à l’occasion d’un colloque organisé par l’association des journalistes scientifiques. Lors d’une table ronde, il est demandé à plusieurs d’entre eux comment ils décident de donner la parole à une voix minoritaire, ce qui créé comme un malaise. Et ce qui ressort de la séquence, c’est que l’on ne devrait pas donner la parole aux opinions minoritaires.
Car ils ne les écoutent pas. Très clairement, les voix minoritaires ne sont pas entendues.
La controverse est pourtant quelque chose de fondamentale. En a-t-on peur ?
C’est un sujet majeur pour les journalistes en général, pas seulement ceux qui s’occupent de médecine et de science. Mais tout particulièrement dans ce domaine, il y a un conformisme évident avec une espèce d’aristocratie qui rend inaudible des voix minoritaires qui devraient pourtant être entendues. Et ce au détriment des avancées scientifiques.
Le journaliste scientifique est-il avant tout un communiquant de la pensée dominante ?
Oui, mais c’est plus ou moins le cas dans tous les domaines. Le journalisme d’investigation qui connaît le sujet, se pose des questions et va chercher l’information, c’est compliqué dans le système actuel avec un temps médiatique qui n’est plus le temps journalistique.
On a un dialogue de sourds plus qu’une guerre de l’information. Chacun est dans son camp et ne bouge pas, donc la guerre est gagnée d’avance
Tout ceci ouvre un boulevard à une info alternative, comme on l’a vu pendant le covid avec des médias qui récupèrent des sujets polémiques que le mainstream évite ou rechigne à aborder…
En les traitant mal. C’est un peu comme avec les INM. Comme la faculté rejette ces pratiques qui rendent tout de même service à des gens, des voix alternatives s’en emparent, ce qui pose problème. Prenons l’exemple de l’homéopathie. Il faut à tout prix que cela reste médical, car ça sauve des vies. Non pas par l’homéopathie, dont j’ignore si cela marche ou pas, mais parce que des médecins font un diagnostic qui évite de passer à côté de quelque chose de grave ou permet de dire qu’il n’y a pas besoin d’antibiotique ou de chimiothérapie, et ils donnent alors de l’homéopathie. Si cela sort du champ médical et est récupéré par des praticiens non médecins, on court à la catastrophe. C’est pareil au niveau de l’information. Si un sujet est récupéré par des médias alternatifs, c’est la porte ouverte à des contre-vérités car ce n’est pas traité comme une expertise menée avec les différentes parties en présence de façon contradictoire.
La contre-vérité est en fait facilitée de chaque côté car il n’y a bien souvent de contradictoire nulle part, chacun avançant plutôt sa vérité…
Exactement. A Doctissimo, on essaie toutefois de donner la parole à des gens sur les soins non conventionnels, en ne laissant pas non plus passer n’importe quoi car on a un rédacteur en chef qui est un scientifique et je suis directeur médical. Il faut à la fois ce background et cette connaissance, que n’ont pas tous les journalistes des médias mainstream, et une ouverture d’esprit pour ne pas être sectaire, dogmatique. Or on est dans un monde de plus en plus dogmatique.
Avec une sorte de guerre de l’information qui perdure après la crise covid entre d’un côté le mainstream et ses facts checkers, de l’autre les médias alternatifs…
Mais ça sert à quoi ? Pour tourner la page intelligemment, il vaudrait mieux réconcilier les gens, les convaincre sans les prendre pour des imbéciles, donc en leur expliquant les choses. Mais le média alternatif est généralement lu par des gens qui sont déjà convaincus et ont des biais cognitifs. Du côté du mainstream, c’est la même chose, donc on a en fait un dialogue de sourds plus qu’une guerre de l’information où il y aurait un gagnant et un perdant. Là, chacun est dans son camp et ne bouge pas. Or tout l’enjeu du journalisme devrait être d’aller informer pour faire changer les positions. Malheureusement, dans ces médias comme dans les réseaux sociaux où les algorithmes te proposent ce qui va dans ton sens, il n’y a pas vraiment d’affrontement car la guerre est gagnée d’avance. Elle est peut-être perdue pour la science ou l’opinion publique, mais elle est gagnée dans le sens où il y a un public captif en attente de ce qu’on lui donne.
Avec aussi un Français sur deux qui n’aurait pas confiance dans la parole des scientifiques, comme vous le releviez en vous référant un sondage IPSOS réalisé fin 2022 pour l’Institut Sapiens…
On se retrouve effectivement avec des gens dubitatifs, car ils ont un certain bon sens que l’on a remis en question. Avec le covid, ils ont aussi tout de même compris la réalité de la maladie, ce qui a conduit à une prise de distance par rapport à ce qui a été raconté. Ils relativisent donc la parole des supposés experts et manifestent une certaine défiance. Mais la majorité des gens ne sont ni pour ni contre, ni pro ni anti vaccin. Ils ne savant juste plus à quel saint se vouer et à qui faire confiance.
Tout le monde a plus ou moins fauté, donc on préfère oublier et passer à autre chose
Pourquoi n’a-t-on pas tiré les leçons de cette crise covid ?
Cela a été une crise majeure, avec un effet de sidération, et c’est toujours facile de refaire l’histoire après. Mais tout le monde a plus ou moins fauté, donc on préfère oublier et passer à autre chose.
Plutôt que de se risquer à un mea culpa…
Que ce soit les journalistes, les médecins ou les politiques, avec le recul je ne crois pas que leurs décisions aient été les bonnes. Il est donc plus confortable de ne pas revenir dessus. Et puis les informations circulent à une telle vitesse, des sujets majeurs de géopolitique ont chassé le covid de l’actualité. Mais je regrette que vis-à-vis de médecins qui ont été très radicaux, voir anti-déontologiques, il n’y ait pas eu d’intervention de notre Ordre. Il devrait aussi y avoir un devoir de mémoire. Car un médecin se doit d’être empathique et quand il a tenu des positions abjectes ou insultantes vis-à-vis de confrères ou de patients comme les non-vaccinés, on devrait s’en rappeler.
On devrait aussi se rappeler que la médecine peut se faire avec des conflits d’intérêt, comme vous le souligniez dans votre article en déplorant que l’on ait oublié de questionner les médecins à ce sujet...
Il y a en tout cas des liens d’intérêt, notamment avec les laboratoires pharmaceutiques. Cela aurait été intéressant de savoir quels liens avaient les gens qui parlaient, or on ne leur demandait jamais. Il serait aussi utile au grand public de savoir qui fait quoi dans la vie. Tout le monde est persuadé que les épidémiologistes sont des médecins, mais non. Nombre de ceux qui s’exprimaient ne l’étaient pas. Il y avait ainsi de la confusion et un manque de transparence. Or la transparence est nécessaire à la confiance, et son absence a créé une défiance qui continue.
Comment devrait se faire l’info médicale ? Et par qui ? Des médecins ou des journalistes ?
Par tous ceux qui s’intéressent au sujet médical, ou plus largement à la santé. Chacun doit pouvoir participer au débat : les infirmiers, les para médicaux, les associations de malades ou chaque citoyen, car tout le monde est concerné par la santé. Mais il faudrait déjà qu’elle ait plus de place dans les médias. L’information sur la prévention devrait selon moi être une obligation sur les chaines de télé, d’autant que les gens en sont friands. Et dans l’exercice de la médecine comme quand on en parle à la télévision, il faudrait se garder d’avoir des positions catégoriques. Tout est relatif en fait, tout bouge. Il y a des gens pour lesquels tel traitement va fonctionner, d’autres non. Untel aura besoin d’un accompagnement psychologique, d’autres guériront avec un placebo. Tout doit pouvoir trouver sa place. C’est la même chose à la télévision.
Le travail de journaliste n’est pas suffisament fait
Il faut ainsi accepter la complexité, et la controverse…
Il faut de l’humilité, et pas de propos tranché, ce qui ne correspond pas trop à la télévision qui aime bien les gens qui clivent.
Est-ce spécifique à la télévision ou courant dans les médias en général ?
En braquant les projecteurs, la télévision hypertrophie le phénomène. Mais ce qu’il faudrait surtout, c’est que les médias en général puissent prendre de la distance avec les intervenants, ne pas prendre pour argent comptant des titres d’experts pompeux, et vérifier les sources, les liens d’intérêt, la légitimité de telle ou telle personne à parler d’un sujet, ainsi que ses propos antérieurs pour voir si ce n’est pas une girouette ou si elle n’a pas été démentie. Tout cela est important, c’est le travail du journaliste, mais il n’est pas suffisament fait.
De votre côté, qu’apportez-vous médiatiquement ? Des conseils pratiques ou une contribution au débat ?
Les deux. Je suis chroniqueur médical, mais je fais aussi des tribunes et participent à des débats sur la santé publique. L’idée est d’abord de donner à la télévision ou dans d’autres médias des conseils de praticien, ce que je suis au quotidien aux urgences. Avec le plus possible de pédagogie, d’empathie, d’humilité, et en rappelant toujours que l’on ne sait pas tout, en restant ouvert, comme sur Doctissimo où une partie importante de notre contenu concerne les médecines complémentaires qui répondent à un besoin et à une demande. Si un Français sur deux utilise l’homéopathie, ce n’est pas pour rien.
Ceux qui militent contre l’homéopathie, tel que le collectif No Fake Med qui fut à l’origine de son déremboursement, vous diront que ces gens vivent dans l’illusion d’une médecine qui n’est que charlatanerie…
Mais si elle leur fait du bien et leur évite de prendre des anti-inflammatoires qui vont leur trouer l’estomac sans leur servir à rien, je préfère ça. Il faut écouter le bon sens des gens. S’ils prennent de l’homéopathie, c’est qu’elle leur apparaît profitable. Et l’important, c’est de ne pas casser la confiance dans la médecine. On y arrive par la nuance. Beaucoup de gens me remercient des positions que j’ai prises en me disant qu’ils n’écoutaient plus les autres. Tant mieux si j’ai pu contribuer à les maintenir en contact avec la médecine. Le médecin a aussi un rôle politique dans le système de santé, tout comme les responsables politiques ou les paramédicaux. J’essaie donc également de tenir ce rôle dans les médias, et suis toujours effaré de voir nos dirigeants parler de sécurité, d’économie, en passant complètement à la trappe la santé. Le nouveau premier ministre a certes fait sa première visite dans un hôpital, mais sans annoncer grand-chose.
Revient donc aux médias la responsabilité de porter dans le débat public les questions médicales ?
Oui, et au delà du strict médical, ce sont plus globalement les sujets de santé, individuelle et publique, qui devraient être débattus publiquement. Mais cela n’existe pas. Il y a des revues scientifiques, des émissions médicales, des petites chroniques par ci par là, mais pas vraiment de lieu où l’on peut discuter de ces sujets essentiels en prenant le temps.