« On dit que si les gens sont gros, c’est de leur faute »
Nouvelle mine d’or de l’industrie pharmaceutique, l’obésité symbolise notre société de consommation. Un drame sanitaire face auquel Philippe Froguel invite à sortir du déni et de la stigmatisation.
C’est un très gros problème de santé publique, dont on n’a pas encore pris la mesure. En 1997, l’obésité a pourtant été qualifié par l’OMS de « première épidémie non infectieuse de l’histoire de l’humanité », et depuis cette maladie n’a fait que se répandre pour toucher en 2022 plus d’un milliard de personnes sur Terre. Un mal dont la prévalence a doublé en trente ans chez les adultes, et quadruplé chez les enfants et les adolescents.
Etre obèse, c’est avoir un indice de masse corporelle (IMC) supérieur à 30, cette donnée s’obtenant en divisant son poids en kilogrammes par sa taille en mètres et au carré. Avec un IMC de 35, l’obésité devient sévère, et à partir de 40 on parle d’obésité massive. Avec à chaque fois des risques pour la santé de plus en plus importants, et la nécessité de le prendre en compte.
Depuis quelques années, la lutte contre l’obésité connaît ce que l’on présente un peu partout comme une révolution avec l’avènement d’une nouvelle classe de médicaments, initialement destinée aux diabétiques. Elle permet une perte de 10 à 20 % du poids, et apparaît comme une percée thérapeutique majeure pour son effet sur la mortalité. Des réserves peuvent certes être posées sur les limites de ces traitements et leurs effets secondaires, mais ces médicaments, dits analogue de GPL-1, changent bel et bien la donne, et ils ont fait de l’obésité la nouvelle mine d’or de l’industrie pharmaceutique.
Une maladie symbole de la société de consommation
Philippe Froguel est un expert de ce sujet reconnu mondialement grâce à ses découvertes, effectuées dans les années 1990 et 2000, de gènes responsables de certaines formes de diabète ou de l’obésité. Professeur de médecine et chercheur à l’Université de Lille et à l’Imperial College de Londres, il publie dans les meilleures revues et est l’un des Français les plus prolifiques par ses publications scientifique, également réputé pour son franc parler.
Dans votre lettre Raison sensible, Philippe Froguel rappelle une réalité que l’on peut ne pas souhaiter voir, bien que 10 à 13 % des décès soient en Europe liés à une obésité qui devrait engloutir plus de 8 % des budgets de santé des pays développés d’ici 2050, si la prévalence continue d’augmenter au rythme actuel. Le généticien explique que le corps médical a néanmoins encore tendance à se défausser du problème, contribuant à entretenir une stigmatisation des obèses qui peut conduire, en réaction, à un déni sanitaire de certains revendiquant leur différence et leur excès de poids dans une forme de militance contre la grossophobie qui refuse de considérer l’obésité comme une pathologie.
Bien que la France n’en ait pas encore officiellement pris acte, l’obésité a toutefois tout de la maladie chronique, comme le souligne notre invité en précisant la nature de la part variable de la génétique, sans évacuer l’influence d’une société où la consommation a tendance à virer à l’addiction. L’industrie agroalimentaire en tire largement profit en vendant de la malbouffe mortifère sans que les autorités publiques ne réagissent, la réponse médicamenteuse permettant finalement de continuer à s’inscrire dans la logique consommatoire qui caractérise cette société dont l’obésité est un symbole.
Docteur Froguel, une proposition de loi prévoyait en juillet 2023 de faire de l’obésité une grande cause nationale en commençant par la reconnaître comme une maladie. Un an plus tard, ce texte n’a pas été adopté. Est-ce un problème de reconnaître la nature pathologique de l’obésité ?
L’obésité entraine très souvent des maladies, ce qui fait que l’on peut la considérer elle-même comme une maladie chronique. Les spécialistes se battent pour obtenir une telle reconnaissance qui aurait des conséquences importantes dans la prise en charge.
Pourquoi ne l’a-t-on pas aujourd’hui ?
Car on on vit dans un monde où l’on dit que si les gens sont gros, c’est de leur faute. Beaucoup estiment que les obèses n’avaient qu’à moins manger, mais la réalité n’est pas si simple.
En quoi l’obésité est vraiment une maladie chronique ?
Parce qu’elle provoque au bout de quelques années une très grosse augmentation des troubles cardio-vasculaires, des AVC, des cancers. On approche du tabac dans la responsabilité sur la mortalité et la morbidité, et les deux courbes vont se croiser car de moins en moins de gens fument tandis qu’il y a de plus en plus d’obèses. On en dénombre aujourd’hui un milliard dans le monde, dont 150 millions d’enfants. C’est un drame absolu.
D’autant qu’il s’accompagne d’une stigmatisation des malades en raison de leur apparence. Une personne victime d’hypertension ne se verra jamais moquer ou accuser d’avoir bien cherché sa maladie, tandis qu’une personne grosse peut subir ça…
Il y a en effet une stigmatisation très importante, surtout en France. Au niveau des interactions sociales, la vie est très difficile pour les obèses, qu’il s’agisse d’enfants, d’adolescents ou d’adultes. Par ailleurs, il y a un certain désintérêt du corps médical.
Il y a l’idée que des choses plus sérieuses sont à traiter
Car l’obésité n’est pas considérée comme une maladie ?
Il y a l’idée que des choses plus sérieuses sont à traiter et que les gens n’ont qu’à se prendre en charge pour éviter l’obésité. Et puis pour des généralistes qui peuvent ne consacrer que dix minutes à leurs patients, il faudrait prendre le temps de s’investir sur la nutrition, entres autres. Ce que beaucoup de médecins ne font pas, laissant les obèses livrés à eux-mêmes.
Certains ont pu remettre en question la réalité d’une épidémie d’obésité en considérant être surtout victimes de cette stigmatisation sociale...
Hélas, des études bien faites montrent qu’on a aujourd’hui un peu moins de 20 % d’obèses en France, et environ 30 % de gens en surpoids. Mais certains ne veulent pas le voir.
En remarquant que le seuil du surpoids de l’IMC a été abaissé en 1998 de 27,8 à 25. De quoi gonfler les statistiques ?
L’obésité n’a pas changé à 30, et le nombre des obèses augmente. Sur le surpoids, on a considéré que le seuil était de 25, mais cela dépend de l’ethnie dont on parle. Chez les asiatiques, c’est plutôt 22 le niveau à partir duquel il existe un sur-risque de maladie au niveau épidémiologique.
Poids et santé seraient-ils synonymes ? L’IMC présente tout de même des limites en tant qu’indicateur...
Les études sur grandes populations sont néanmoins très claire. Les très maigres meurent beaucoup plus que ceux qui ont un IMC entre 18-19 et 25-27. Au delà la mortalité repart à la hausse, et à partir de 35 elle devient très forte.
Il n’y a pas d’obésité saine, sans autre facteur de risque ?
C’était très à la mode il y a une quinzaine d’années. On parlait d’healthy obesity car beaucoup d’obèses allaient très bien. Sauf que les études de cohortes de personnes suivies pendant quinze ans ont montré qu’au bout d’un moment, elles n’allaient plus du tout bien, comme vient encore de le constater une publication chinoise. L’apparition de maladies est seulement plus ou moins précoce chez les individus en grand surpoids.
Reste que l’IMC n’est pas un indice forcément pertinent. Par exemple, un joueur de rugby peut être considéré comme en surpoids voire obèse alors que c’est un athlète qui est seulement lourd. L’IMC n’apparait pas adapté pour ce genre d’individu, et est d’ailleurs proposé un nouvel indice de rondeur corporelle (IRC) qui prend en considération le tour de taille…
L’histoire du rugbyman est vraie, mais tout le monde n’est pas rugbyman. L’autre problème est que l’indice de masse corporel, un rapport entre le poids et la taille, favorise les grands qui auront tendance à avoir un IMC artificiellement bas. On va donc le sous-estimer chez eux, et le sur-estimer chez les petits. Il est aussi vrai que le tour de taille, ou son rapport avec le tour de hanches, est utile, mais il est difficile à mesurer, et avoir un gros ventre constitue davantage un critère de risque cardiovasculaire que d’obésité.
Le plus important pour traiter l’obésité est de bien analyser les caractéristiques de chaque personne
Faut-il une nouvelle définition de l’obésité ?
Non, celle utilisant l’IMC me convient, avec ses avantages et ses inconvénients. C’est bien de faire aussi le tour de taille, et de combiner ces deux critères pour intégrer le paramètre du gros ventre en cas d’IMC identique. Mais le plus important pour traiter l’obésité est de bien analyser les caractéristiques de chaque personne, sans confondre épidémiologie et médecine.
Pourquoi ?
L’épidémiologie s’effectue sur des millions de personnes. Tout ce qu’on dit sur l’IMC est vrai à cette échelle. Mais au niveau des individus, qu’ils soient rugbyman ou avec un gros ventre, français ou vietnamien, tous sont différents. Changer le thermomètre de l’IMC ne sert à rien, l’essentiel est une approche personnalisée prenant en charge la situation particulière d’un patient en fonction de son âge.
Concrètement, au niveau physiologique, c’est quoi être obèse ? Un problème de tissus adipeux ?
Cela se traduit effectivement par trop de ces tissus adipeux dont les cellules stockent la graisse. Un bilan clinique et biologique permet de bien savoir où est cette dernière, ce qui est nécessaire car l’infiltration graisseuse est beaucoup plus dangereuse dans l’abdomen que dans des tissus sous cutanés. Après, l’obésité, en tant que telle, c’est simplement avoir un poids trop élevé car on a trop de graisse. Ce qui importe est la conséquence que cela peut avoir. Une hausse du cholestérol ? De la pression artérielle ? De la glycémie ? Voilà ce qu’il faut évaluer, en sachant que le risque est différent d’un personne à l’autre et que ce n’est pas le tissu adipeux qui rend obèse. Au départ, ce n’est qu’un organe de stockage. Ce qui rend obèse, c’est un déséquilibre entre ce que l’on mange et l’activité physique effectuée. C’est donc surtout une question de comportement se répercutant sur un tissu adipeux qui ne pose au début pas de problème particuliers. Mais au bout d’un moment, il devient inflammatoire, ce qui entraine tout un tas de complications.
Le problème vient du développement du tissu adipeux ?
Tant que ses cellules se multiplient, ça va. Cela peut être ennuyeux pour votre silhouette en maillot de bain mais vous n’êtes pas malade. Sauf qu’à un moment, principalement en raison de l’inflammation, les cellules adipeuses deviennent incapables de se multiplier, donc elles vont grossir. Et quand elles sont trop grosses et trop remplies, elles débordent, littéralement. La graisse part donc dans le corps, ses différents organes et ses artères, ce qui donne des maladies.
Pour les gens prédisposés, une activité physique soutenue n’est pas suffisante pour éviter de devenir obèse
Nous ne sommes pas égaux face à ce processus en raison de prédispositions. Quelle est la part génétique dans l’obésité ?
Des études ont conclu que l’héritabilité de l’obésité, sa transmission d’une génération à l’autre, est de 50 à 70 %. Seule la taille a un niveau plus élevé, le poids vient juste après. Donc effectivement, si on a des parents obèses, on a un risque très important de l’être soi-même.
Ce que vous avez pu expliquer au niveau génétique…
Depuis vingt-cinq ans, on retrouve effectivement cela en étudiant l’ensemble des génomes des obèses, avec des variants qui expliquent une partie importante des variations entre individus.
En regardant le génome d’une personne, on peut savoir si elle a de grandes chances de devenir obèse ?
Il y a deux choses : des variants fréquents pour tout le monde et les 10 % d’obèses qui ont une maladie monogénique. C’est l’équivalent de la myopathie ou de la mucoviscidose, avec, là, un gène de la satiété qui ne marche pas, ce qui fait que les gens ont tout le temps faim. C’est chez eux que l’obésité débute de la façon la plus précoce, avec des enfants de 3 ou 4 ans déjà énormes. Mais dans la majorité des cas, on aura plutôt une combinaison de gènes qui n’aura pas pour effet de donner faim mais de provoquer une addiction à la nourriture. Ainsi, dès que l’on est stressé, on mange.
Comment traiter cette obésité multiforme ?
Un article paru au printemps dernier montre toute la difficulté. Des Américains ont été suivis pendant cinq ans durant lesquels on mesurait leur IMC pour évaluer le risque de devenir obèse en fonction des caractéristiques génétiques, sachant que des centaines de gènes jouent un rôle dans le poids. Le résultat est très simple : si l’on est protégé génétiquement, il faut faire 4000 pas par jour pour ne pas devenir obèse. Mais si l’on est prédisposé, il en faut au moins 10000. C’est problématique car 4000 ou 5000 pas par jour, beaucoup de gens le font. C’est mon déplacement quotidien en allant au travail en métro. En revanche, 12 000 pas, c’est marcher pendant deux heures, ce qui demande un effort. C’est très difficile pour les gens prédisposés car une activité physique soutenue n’est pas suffisante pour éviter de devenir obèse.
Il y a le paramètre de la nourriture. Manger moins ou mieux n’est pas la solution ?
Il faut évidemment agir sur l’alimentation. Avec chez les gens qui ont tout le temps faim, le besoin de recréer la sensation de satiété que des médicaments permettent maintenant d’obtenir. Mais pour la grande majorité des obèses, c’est une question de comportement alimentaire. Il faut donc éviter le grignotage, de manger des choses trop riches en calories. Ce qui pose le problème de certains types de nourriture comme les plats préparés mais aussi l’alimentation végétarienne.
Etre végétarien peut faciliter l’obésité ?
Oui, car la nourriture végétarienne est très riche en glucides, en graisse. Et même si les végétariens font moins de maladies cardiovasculaires que les autres, ils sont en moyenne plus gros que les non végétariens.
En France, un million et demi de personnes ont eu une chirurgie de l’obésité. C’est un business pour beaucoup, avec un suivi très faible, et des effets secondaires très importants
Quand l’exercice ou l’alimentation ne permettent pas d’éviter d’être obèse, il existe des traitements. D’après une synthèse sur l’obésité des adultes parue dernièrement dans The Lancet, le plus efficace serait la chirurgie. C’est vraiment ce qui marche le mieux ?
En France, un million et demi de personnes ont eu une chirurgie de l’obésité.
D’abord avec la pause d’anneau gastrique, puis selon une méthode consistant à réduire l’estomac…
C’est ça, et 50 à 70 000 personnes sont opérées chaque année. C’est un business pour beaucoup, avec un suivi très faible, et des effets secondaires très importants. C’est aussi, loin de toujours marcher.
Le magazine de l’INSERM dit qu’il y a 20 à 30 % d’échecs…
En réalité, cela ne marche pas dans un cas sur deux, et quand ça marche il y a des effets secondaires terribles. Ce n’est vraiment pas extraordinaire, mais si ça fonctionne on perd 20 % de son poids, ce qui est un bon résultat pour éviter certaines complications. On est ainsi loin de la panacée, mais la chirurgie a permis de soigner et de soulager beaucoup de gens vraiment énormes.
Avec un résultat qui n’est pas seulement des kg en moins mais aussi une diminution des cancers ou des maladies cardio-vasculaires...
Oui, on a assez de recul pour le savoir. Chez les gens pour qui la chirurgie a fonctionné, on trouve aussi moins de diabétiques, on meurt plus tard et on a une meilleure santé. Demeurent toutefois beaucoup d’échecs, et aussi des problèmes psychologiques avec des suicides, des dépressions qui surviennent après que l’on ait maigri grâce à la chirurgie. On observe également de nombreux divorces car le partenaire peut avoir l’impression de se retrouver avec une autre personne.
Après que l’on ait là aussi connu de multiples échecs avec des produits coupe-faim, dont le plus tristement célèbre fut le médiator, la donne a-t-elle vraiment changé avec les médicaments ?
Oui, ceux dont on parle partout marchent, et on a maintenant un grand recul car ce furent d’abord des médicaments pour le diabète. On sait donc aujourd’hui qu’ils protègent des problèmes rénaux ou cardio-vasculaires. Ce sont véritablement de très bon médicaments qui font perdre du poids aux obèses et diminuent leurs risques d’avoir des maladies.
Le vrai problème n’est pas d’être trop gros mais d’avoir des années de vie en moins, ou en moins bonne santé
Ces médicaments sont aussi très profitables aux laboratoires pharmaceutiques qui les vendent. Grâce à son produit star, l’Ozempic, le Danois Novo Nordisk est devenu l’entreprise européenne dotée de la plus grande capitalisation, devant LVMH, tandis que l’Américain Eli Lilly, avec son Mounjaro, est désormais le numéro un mondial de l’industrie pharmaceutique, devant Novo Nordisk.
Exactement, et alors qu’il y a cinq ou dix ans plus personne ne voulait travailler sur l’obésité en raison des échecs dont vous parlez. Mais là, avec l’augmentation du nombre de cas et l’arrivée de médicaments efficaces sans effets secondaires dramatiques, la donne a totalement changé.
Vous avez travaillé avec Eli Lilly il y a une vingtaine d’années. Etes-vous aujourd’hui lié à ces laboratoires pour qui l’obésité est devenu un marché extrêmement juteux ?
Je les connais bien tous les deux, on peut discuter, mais je n’ai aucun rapport d’argent avec ces laboratoires.
Donc pas de lien d’intérêt à déclarer ?
Non, mais je ne considère pas non plus que mes collègues qui bossent avec l’industrie sont forcément corrompus. En tout cas, on ne peut que constater que ces nouveaux médicaments permettent de lutter efficacement contre l’obésité et surtout ses conséquences. Car le vrai problème n’est pas d’être trop gros mais d’avoir des années de vie en moins, ou en moins bonne santé. Par exemple, quand vous êtes jeune et obèse, vous avez plus de muscles que les autres car il faut bien trimballer votre carcasse. Mais avec l’âge, l’obésité provoque une diminution très importante de la masse musculaire, ce qu’on appelle la sarcopénie, qui fait qu’à soixante ou soixante-dix ans on ne peut plus bouger et risque donc encore plus d’avoir des maladies cardio-métaboliques.
Qui prend aujourd’hui ces médicaments ?
En France, ceux qui se les font prescrire, en Angleterre c’est en vente libre. Mais beaucoup de nouveaux produits vont encore arriver, avec une deuxième puis un troisième génération. On va être inondé de ce type de médicament dans les dix prochaines années.
En accès libre comme en Angleterre, les utilisateurs sont-ils des obèses ou des personnes qui souhaitent perdre quelques kilos avant l’été ?
Je pense que ce sont vraiment des gens en surpoids qui le prennent pendant un an ou plus après s’être aperçus qu’ils étaient en train de devenir très gros.
Et en France, on les prescrit à qui ?
D’abord aux diabétiques, car c’est avant tout un médicament très efficace pour le diabète. On s’est aperçu qu’il les faisait aussi maigrir en les traitant, et aujourd’hui c’est de plus en plus prescrit à des adultes pour maigrir.
Pas aux enfants ?
Ce n’est pas encore autorisé mais c’est en train d’arriver avec les adolescents à partir de douze ans dans certains pays.
N’oublions pas que c’est chez les pauvres que l’on trouve le plus d’obèses. Cette maladie pose un problème social extrêmement important
Est-ce des médicaments que l’on est appelé à prendre toute sa vie comme quand on soigne un diabète ou une hypertension ?
Oui, clairement. Cela pose la question des effets à long terme. On a toutefois vu avec les diabétiques qu’ils avaient non seulement perdu du poids mais avaient aussi une meilleure glycémie et beaucoup moins de complications cardiaques ou rénales, avec maintenant entre 20 et 30 ans de recul. La difficulté, c’est que ça donne envie de vomir et provoque chez certains des troubles digestifs. Les gens ont donc souvent du mal à tenir et peuvent arrêter le traitement d’eux-même au bout d’un an ou deux en raison de ses effets secondaires.
Que se passe-t-il alors ?
Les études montrent que les gens regrossissent. Ils ont davantage faim et se retrouvent désinhibés devant la nourriture. On ne sait pas encore exactement quelle attitude avoir dans ces cas là. Il y a des réflexions, on envisage par exemple un arrêt progressif, mais ce n’est pas encore bien défini. Et si la question des effets indésirables à long terme semble réglée vu le recul que l’on a avec les diabétiques, reste à savoir si les gens souhaitent prendre toute leur vie un médicament qui leur donnera envie de vomir dès qu’ils mangent un peu trop. C’est un choix de vie.
Une tribune signée dans Le Monde en 2023 par des pharmacologues demandait s’il fallait vraiment « une réponse pharmacologique à une maladie sociale et civilisationnelle » en appelant à « éviter de tomber dans l’illusion d’une approche médicamenteuse »…
Comme d’autres collègues travaillant sur l’obésité, j’ai lu cette tribune qui montrait seulement que ses auteurs ne connaissaient rien aux obèses. Ils étaient dans un « y a qu’à faut qu’on » qui a d’ailleurs suscité une réponse des sociétés savantes. Si une réponse civilisationnelle était aussi simple à apporter qu’ils semblaient le croire, on l’aurait déjà fait.
Cette tribune remarquait que la hausse de l’obésité était concomitante à l’arrivée d’une alimentation industrielle, ce qui indiquerait que notre génétique est inadaptée à cette nourriture. Dire cela n’est pas exact ?
Bien sûr que la nourriture industrielle favorise l’obésité. Elle est trop sucrée, trop salée, trop grasse, mais une fois que l’on a dit ça, on fait quoi ? On pourrait taxer le sucre, le gras, il y a certes des choses faisables pas assez faites en France. Mais cela ne réglera pas le problème de ce qui est devenu une maladie. Embêter Buitoni ne la fera pas disparaître…
Mais prendre des mesures contre la malbouffe contribuerait à la prévenir. Or comme ses prédécesseurs, Emmanuel Macron n’a pas pris ce type de mesure et semble plutôt compter sur Novo Nordisk qui investit en France pour y développer sa production de médicaments…
La France est mauvaise en prévention. Il faudrait baisser les teneurs en sel et en sucre de beaucoup de produits. On pourrait l’imposer aux industriels, encore faut-il en avoir envie... Reste que cela serait de la prévention, mais quand l’obésité est constituée, on doit passer au traitement.
Ce qui conforte une logique capitaliste qui ne prend pas le problème à la base avec l’industrie de la malbouffe, mais qui mise sur l’industrie pharmaceutique qui va gagner des milliards en fournissant des médicaments à ceux que cette malbouffe à rendu obèses...
Complètement, et il y aussi un gros facteur social, bien étudié en Angleterre où l’on a observé qu’un enfant sur trois est pauvre, à peu près la même proportion que les enfants de 10 ans en surpoids. La taille de ces enfants a diminué par rapport à il y a trente ans, parce qu’ils mangent mal ! N’oublions pas que c’est chez les pauvres que l’on trouve le plus d’obèses. De très loin, notamment chez les enfants. L’obésité pose un problème social extrêmement important, dans son développement mais aussi dans sa prise en charge.
On a besoin d’un Etat qui dit que ce qu’il fait et fait ce qu’il dit, ce qui n’a pas été le cas depuis sept ans
En avril 2023, un rapport remis au gouvernement a pris clairement acte de ce problème de santé publique en appelant à faire de l’obésité une cause nationale. Mais comme le rappelait une autre tribune qui réclamait en mai dernier « un plan de lutte contre l’obésité » aux pouvoirs publics, rien de concret n’a été mis en place. Vous qui avez pu être engagé politiquement, qu’en pensez-vous ?
J’attends un gouvernement qui ne soit pas macroniste pour qu’on arrête d’être dans l’invocation et l’hypocrisie. Tout ce que je connais des macronistes, ce sont des grandes phrases et rien qui se passe. On a besoin d’un Etat qui dit que ce qu’il fait et fait ce qu’il dit, ce qui n’a pas été le cas depuis sept ans.
Vous êtes un déçu du macronisme…
J’ai milité au début mais ai très vite vu dans mon domaine de la recherche et de la santé le décalage entre les grandes paroles de Macron et le fait qu’il ne se passait jamais rien derrière. Et au niveau de la prévention, c’est catastrophique. Il y a pourtant maintenant un ministre de la Santé et de la prévention, mais c’est du pipeau. Nous travaillons de notre côté sur la prévention à Lille et dans un projet européen, mais c’est un effort qui n’avait pas été fait jusqu’à présent. Or ce n’est pas normal ni acceptable que 20 à 30 % des enfants soient aujourd’hui en surpoids.
Que faudrait-il faire pour régler le problème ?
Suivre les gosses dès leur naissance pour les prendre en charge avec leur famille dès qu’ils dévient des courbes normales en leur expliquant ce qu’il faut faire, d’abord en donnant des conseils alimentaires. Car on sait quoi faire pour prévenir l’obésité de l’enfant. Chez l’adolescent, c’est plus compliqué car il est en révolte, mais avec l’enfant, c’est très facile et ça marche dès lors qu’il y a une bonne prise en charge. Avec l’adulte, il faut aussi comprendre pourquoi les gens bouffent, réfléchir à des comportements où l’on ne soit pas tout le temps incité à manger de la merde. Mais pour cela il faut aussi que les gens aient de quoi acheter de la bonne nourriture.
Vous avez constaté à Lille des réticences à lancer un programme de détection chez les enfants...
Oui, car les responsables politiques redoutent toujours qu’on les accuse d’ostraciser les enfants gros. Que ceux que l’on repère soient ensuite maltraités. Mais on a des méthodes pour que les autres enfants ne sachent pas que leurs camarades ont été détectés. Tout est faisable, il suffit de le faire bien. Et là, on n’a pas été bloqué mais il nous a fallu un an pour convaincre de faire une détection. Aujourd’hui elle marche très bien et la mairie est très contente, mais au début ils ont eu très peur de l’ostracisme.
Un dossier du magazine Heidi News sur le phénomène que constitue les nouveaux médicaments contre l’obésité envisage l’éradication de cette dernière grâce à eux. Est-ce crédible ?
Non. Ce qui éradiquerait l’obésité serait d’empêcher les gens de devenir obèses, et on n’arrivera pas à cela avec des médicaments mais avec d’autres mesures. Une fois que des gens sont en obésité, ces médicaments permettent vraiment de diminuer leur poids et d’éviter des maladies en situation d’obésité. Des gros progrès ont ainsi été faits pour le traitement, mais on n’a pas du tout progressé au niveau de la prévention.
Le covid n’a malheureusement pas servi d’alerte
Le covid a pourtant mis en lumière ce mal civilisationnel qu’est l’obésité comme principale comorbidité après l’âge. On a beaucoup dit que les obèses faisaient des formes graves, sans en tirer de leçon...
La politique du covid et ses confinements ont en revanche fait grossir énormément, notamment des gosses qui n’ont pas pu faire de sport pendant un an et demi. Cela n’a malheureusement pas servi d’alerte, bien que d’excellentes études aient été faites sur les effets de l’obésité sur les maladies infectieuses, et sur le fait qu’une génération d’enfants a beaucoup grossie en 2020-2021.
Aucun pays dans le monde n’a réussi à réduire l’obésité. Le problème serait-il insoluble ?
Des pays ont fait mieux que d’autres, par exemple les pays nordiques sur l’obésité de l’enfant dont ils ont su stabiliser ou ralentir la croissance. Aux Etats-Unis, au contraire, c’est la catastrophe.
En France, les chiffres sont inquiétants, mais une étude nous a classé comme le meilleur élève d’Europe, devant les pays pays nordiques, avec seulement 10,92 % d’obèses…
Il y en France des études totalement contradictoires. Celle qui dit qu’on est à 10 % a été très discutée, et d’autres considèrent que la situation s’aggrave et que l’on serait en réalité à 17 % d’obèses. Je serais incapable de dire quelle est la réalité.
Mais la France s’en sort-elle tout de même mieux que les autres en Europe ?
Mieux que les Anglais, les Allemands, les Espagnols, les Italiens et les Grecs qui sont les pires, mais ce n’est pas homogène dans le pays. Dans les Hauts-de-France, ce n’est pas bon du tout alors que dans le Sud, c’est bien.
C’est dû à quoi ?
Surtout la pauvreté, de mauvaises habitudes culturelles, le taux d’immigration et tout un tas de choses qui entrainent des difficultés pour contrôler l’alimentation et l’activité physique.
La médecine ne peut pas tout
Face à ce problème de santé publique, on compte finalement surtout sur des labos pharmaceutiques ou des startups qui élaboreraient une chirurgie utilisant l’intelligence artificielle ou des nouveaux médicaments intégrant la situation génétiques des obèses. Faute de changer de civilisation, est-on pris dans une sorte de fuite en avant technologique ?
Tout à fait. Il y a une tendance à l’augmentation de l’obésité dans le monde entier et on trouve des moyens de soigner ces gens, mais on ne travaille pas assez à ce que les gens ne grossissent pas. C’est bien dommage, car la médecine ne peut pas tout.
Quand on compare les budgets alloués à la recherche sur la nutrition et celle sur les médicaments aux Etats-Unis, on passe de 1,5 à 60 milliards de dollars. Sachant qu’une mauvaise alimentation est la première cause de mortalité, cette différence d’investissement révèle-t-elle l’étendue du problème ?
Cela montre que l’on ne fait pas assez attention aux enjeux nutritionnels qui sont pourtant primordiaux dans l’obésité. On n’a pas envie d’emmerder les industriels, les agriculteurs... Par exemple Lactalis qui s’oppose au Nutriscore avec des arguments du type : on fait de l’AOP qui est bon pour la santé. Or si un produit est salé et plein de gras, il n’est pas bon pour la santé, que cela soit une AOP ou pas. Mais c’est le côté français débile qui estime que le produit du terroir est forcément bon, comme avec le vin. Mais non.
En même temps, les problèmes d’alimentation viendront plus de plats transformés que de produits du terroir. Avec une junk food qui peut devenir addictive, mais on ne fait rien contre car elle représente un business, comme les médicaments.
Il faudrait pourtant diminuer le sel et être beaucoup plus restrictif sur cette junk food. Mais vous avez vous vu comment Nestlé peut se poser en fer de lance de la santé dans l’alimentation alors qu’ils vendent tellement de malbouffe…
Nestlé a annoncé qu’elle allait proposer de la nourriture adaptée à la perte de masse musculaire provoqué par les médicaments contre l’obésité...
C’est du business, peut-être utile, mais cela n’empêche pas de vendre tout un tas de saloperies.
On peut donc créer cette nutrition compensatrice de la perte musculaire des obèses traités par médicaments, mais pas éviter éviter de leur vendre la malbouffe qui les rendra gros…
Comme ça, on gagne des deux côtés. Sur les volumes de malbouffe, et en vendant très cher des trucs pour maigrir.
Mais finalement, qu’en est-il de la reconnaissance de l’obésité comme une maladie à traiter et à prévenir en sortant de la grossophobie ?
J’ai l’impression que cela progresse plutôt et que les gens s’en rendent compte quand ils restent obèses à 50 ans, car ils en souffrent. Leur vie risque d’être abrégée et surtout moins agréable. La maladie est de plus en plus acceptée comme telle, mais une grossophobie continue de suspecter les malades d’être coupables de manquer de volonté. On veut donc bien dire qu’ils sont malades, mais en disant que c’est de leur faute.
Faudrait-il que l’obésité devienne une vraie matière dans la formation médicale et une spécialité comme le réclamait également la proposition de loi ?
Pour l’heure, ça fait partie de la nutrition qui est liée à l’endocrinologie. Mais dans la réalité, la spécialité existe déjà car il y a des services où on ne traite que des obèses. En fait, l’endocrino suffit, mais il serait important de mieux enseigner l’obésité à la fac.